Lettre ouverte à Franck Riester : CETA : Parle-t-on du même accord Monsieur le Ministre ?
« Monsieur le Ministre,
Depuis les votes des Commissions des affaires économiques et des affaires étrangères concernant le CETA qui se sont soldés par des oppositions à la ratification de cet accord de libre-échange avec le Canada et à l’approche du vote en plénière au Sénat le 21 mars prochain, vous ne cessez de faire sa promotion en répétant qu’il s’agit, selon vous, d’un « bon accord ».
Un accord qui permet l’envoi de 65 000 tonnes de viande issue de bovins élevés dans des parcs d’engraissement rassemblant des dizaines de milliers d’animaux sans aucune considération pour leur bien-être, est-il, selon vous, un bon accord ?
Lors de vos prises de paroles sur le CETA, vous n’expliquez pas aux consommateurs que sa ratification aura pour conséquence d’officialiser la présence dans leurs assiettes de viande bovine issue d’animaux nourris aux farines animales – à l’origine de la crise de la vache folle et interdites en UE depuis 1988 – ayant reçu des antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance et qui n’ont par ailleurs fait l’objet d’aucune traçabilité individuelle. Pensez-vous que les citoyens français et européens trouvent cela vertueux ?
Entériner un accord qui, je vous le rappelle, prévoit une division par deux du taux de contrôle physique dans les postes d’inspection aux frontières sur les produits animaux et ainsi faire courir un risque sanitaire aux consommateurs, est une bonne décision selon vous ?
Dans un rapport d’audit effectué au Canada en septembre 2019, la Direction Générale de la Santé et sécurité alimentaire pointait déjà des défaillances sur les contrôles de traçabilité et d’admissibilité dans les exploitations. Dans un second rapport d’audit réalisé en 2022, dont l’objectif était d’assurer le suivi de la mise en oeuvre des mesures prises en réponses aux recommandations formulées dans le rapport de 2019, la DG Santé indiquait que les mesures prises par les autorités compétentes ne pouvaient être considérées comme efficaces pour remédier aux lacunes constatées en 2019, ce qui signifie que rien n’a été mis en place pour remédier aux problématiques soulevées. Elle indiquait par ailleurs que des défaillances résidaient dans les contrôles permettant de certifier l’absence de viande issue d’animaux traités avec des hormones dans la chaine d’exportation de l’Union européenne. Au regard de ce constat, pensez-vous qu’il soit normal qu’il y ait encore des autorisations d’envoi de viande ?
Le seul argument que vous utilisez pour justifier que cet accord n’impactera pas négativement les filières sensibles, telle que la filière bovine, est l’existence d’une mesure miroir sur les antibiotiques activateurs de croissance permettant de bloquer l’entrée de bœuf canadien qui en aurait reçu sur le territoire de l’Union européenne.
Or, Monsieur le Ministre, c’est faux.
L’interdiction d’utiliser des antibiotiques comme activateurs de croissance en élevage, qui existe en UE depuis 2006 a été élargie aux produits importés en 2018, mais n’a jamais été concrètement appliquée ! L’acte d’exécution finalement adopté en janvier dernier par la Commission européenne prévoit simplement une demande d’attestation sur l’honneur de l’exportateur, sans qu’il n’ait de preuve à fournir et sans imposer aucune garantie de traçabilité. De plus, il n’entrera peut-être en vigueur que le 3 septembre 2026 ! Pensez-vous réellement que cette mesure non applicable puisse justifier cet accord ?
En somme, cet accord, que vous présentez comme vertueux, ne comporte en réalité aucune clause miroir conditionnant le respect des normes européennes sanitaires, environnementales et de bien-être animal pour les produits canadiens importés.
Cet accord que vous soutenez représente un réel danger pour les consommateurs et les éleveurs français et européens, tout comme sa ratification créerait un précédent vis-à-vis de l’adoption d’accords de libre-échange ne contenant aucune clause miroir contrairement aux engagements de votre gouvernement.
Nous vous prions donc de faire preuve de bon sens et de cesser de défendre le CETA en lui allouant des vertus qu’il ne possède pas.
Dans l’intérêt des consommateurs et des opérateurs de notre filière, je vous remercie de l’attention que vous porterez à ce courrier, et vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération. »
Jean-François GUIHARD
Président d’INTERBEV