Viande, alternatives protéiques et durabilité : l’IPES-Food analyse des débats sous influences (Article de synthèse)
Les experts de l’IPES-Food ont analysé les discours au cœur des débats sur la viande, les alternatives protéiques et la durabilité. Dans un rapport publié en avril 2022, ils dénoncent un focus excessif sur les protéines, des généralisations trompeuses et une incapacité à prendre en compte la diversité des systèmes de production. Ils identifient également les intérêts derrière chaque prise de position et mettent en garde contre les « mauvaises solutions ».
Dans un contexte de changement climatique et de menaces sur la sécurité alimentaire, le débat fait rage autour des denrées d’origine animale. Géants de l’industrie agroalimentaire, producteurs de protéines cultivées in vitro, lobbys végétariens, agriculteurs, consommateurs… Chacun défend ses convictions et intérêts dans une cacophonie d’arguments contradictoires. Dans un rapport publié en avril 2022, les experts de l’IPES-Food (voir encadré) décryptent les prises de position dominant les débats sur la viande, les protéines alternatives et la durabilité.
Huit discours dominants
Selon les auteurs, huit discours clés restreignent le débat (voir tableau ci-dessus). D’un côté, les problèmes : demande croissante en protéines, impacts sanitaires et environnementaux de la production et de la consommation de viande, attachement aux schémas de consommation actuels. De l’autre, les solutions : protéines alternatives, avancées technologiques (élevage de précision), élevage régénératif (pâturage en rotation et gestion régénérative permettant la séquestration du CO2 dans les sols dégradés).
Portés par des acteurs aux intérêts contradictoires, selon les experts de l’IPES-Food, tous ces discours reposent sur une vision partielle des systèmes de production alimentaire et des généralisations trompeuses.
Un discours exagérément focalisé sur les protéines
Le débat sur la viande et ses alternatives souffre ainsi d’un focus excessif sur les protéines. Depuis des années, les programmes de développement se basent sur l’idée d’un besoin accru en protéines pour nourrir une population mondiale croissante. Ce discours relayé par différents acteurs (industriels, grands groupes d’exploitants agricoles, organisations internationales, instituts de recherche) réduit la malnutrition à une insuffisance d’apport en protéines. Ce faisant, il néglige des problèmes fondamentaux, tels que la pauvreté et les difficultés d’accès à la nourriture, premières causes de malnutrition selon les auteurs ; sans oublier les déficits en micronutriments qui concernent une proportion de population beaucoup plus large, avec de graves répercussions sur la santé à long terme (retard de croissance, troubles de l’immunité, moindre développement cérébral…), que la seule carence protéique.
Aller au-delà des seuls GES en évaluant la durabilité des systèmes de production
Autre exemple de focus systématique : les émissions de gaz à effet de serre (GES). Elles représentent un argument phare pour ceux qui érigent l’élevage en obstacle aux objectifs climatiques. Or, toujours selon les experts de l’IPES-Food, le discours opposant élevage et durabilité repose sur des simplifications et des généralisations trompeuses. Il ignore en effet la complexité des interactions entre le bétail et les écosystèmes (prairies sources de biodiversité, de séquestration de carbone dans les sols…). Il ne tient pas compte non plus de la diversité des modes d’élevage à travers le monde et de la multifonctionnalité des systèmes extensifs et pastoraux (source de nutriments cruciale pour certaines populations, fertilisation des sols, valorisation de terres marginales…).
Portés par les lobbys végétariens et les industries de protéines alternatives, ces discours amalgament des systèmes de production difficilement comparables en un seul type d’élevage (industriel), qu’ils opposent aux protéines végétales ou aux protéines cultivées en laboratoire. Le tout sans se préoccuper de la durabilité de ces produits de substitution.
La nécessité d’une transition globale
Le débat ignore en effet les risques liés aux protéines alternatives : production de masse et en monoculture des ingrédients de base (protéagineux et légumineuses), ultra-transformation gourmande en énergies fossiles (et potentiellement délétère pour la santé), secteur concentré dans les mains de puissants industriels… En outre, tout comme pour l’obligation des repas végétariens en milieu scolaire (voir article « Concilier climat et nutrition en restauration scolaire : une équation complexe »), se pose la question cruciale de leur acceptabilité par le plus grand nombre, que cela soit en termes de goût, de prix ou encore de temps de préparation.
Ainsi, au-delà d’une transition protéique, les experts de l’IPES-Food prônent plutôt une transition globale et durable du système alimentaire. Pour Phil Howard, auteur principal du rapport, « les alternatives technologiques à la viande ne sauveront pas la planète. Dans beaucoup de cas, elles aggraveront les problèmes liés à notre système alimentaire industriel (…). Ce dont nous avons besoin c’est d’un changement de système, pas de produit. »
Qu’est-ce que l’IPES-Food ?
L’IPES-Food (International Panel of Experts on Sustainable Food Systems) rassemble un panel d’experts internationaux (scientifiques, économistes, nutritionnistes, agronomes, sociologues…) autour d’un projet commun : la transition vers des systèmes alimentaires durables. Leur objectif : apporter leur contribution aux débats, via des travaux de recherche et un engagement dans les processus politiques. Dans un souci d’indépendance, l’IPES-Food n’accepte pas de financement de la part des gouvernements ou des entreprises.
Pour en savoir plus : The politics of protein: examining claims about livestock, fish, ‘alternative proteins’ and sustainability
Source : IPES-Food.
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