CARBON FARMING : VOIR AU-DELA DU CARBONE (Article de synthèse)
Le Carbon Farming désigne l’ensemble des systèmes agricoles et dispositifs contribuant simultanément à réduire de manière significative les niveaux d’émissions de carbone, à augmenter les quantités séquestrées et, dans la mesure du possible, à accroître la part de biomasse apte à remplacer les énergies fossiles. Ce Document de propositions co-rédigé par l’IDDRI et I4CE définit les principes clés de la conception d’un système de Carbon Farming qui favoriserait simultanément l’atténuation du climat et soutiendrait les autres objectifs clés pour l’agriculture, définis par les stratégies « De la fourche à la fourchette » (Farm to Fork) et « Biodiversité ».
L’agriculture, avec 430 millions de tonnes d’équivalent CO2 rejetées dans l’atmosphère annuellement, contribue à hauteur de 10 % aux émissions européennes de gaz à effet de serre (GES). Or, la particularité du sol est d’être un des plus gros réservoirs de carbone avec l’océan et pourrait compenser en partie les émissions de l’agriculture. Le Carbon Farming ou « culture du carbone » est défini par la Commission Européenne comme « un modèle économique écologique qui récompense les gestionnaires de terres qui adoptent de meilleures pratiques de gestion des terres. Cela se traduit par une augmentation de la séquestration du carbone […] en réduisant les rejets de carbone dans l’atmosphère ». Ce modèle est vu par la Commission comme l’une des pistes qui permettra à l’Union européenne (UE) de respecter son engagement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Dans cette perspective, les ministres et législateurs cherchent à mettre en place des politiques spécifiques visant à développer ces nouvelles pratiques. Un projet législatif doit d’ailleurs être rendu d’ici la fin de l’année pour encadrer la certification sur les absorptions de carbone. Dans une note datée de Janvier 2022, les Think tanks IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) et I4CE (Institute For Climate Economics) émettent une série de recommandations et de points de vigilance à ce sujet. Leur conclusion : pour que la transition vers des pratiques alliant stockage et réduction des émissions de GES soit pérenne et systémique, il est indispensable d’adopter une approche multidimensionnelle (au-delà d’une approche centrée sur le carbone). Plus concrètement, ils préconisent de viser : une réduction absolue de toutes les émissions de GES ; un renforcement à la fois de la séquestration de carbone dans les sols et des infrastructures agroécologiques ; une promotion de la diversification des agroécosystèmes, de la parcelle aux paysages ; et une réduction de la dépendance globale des systèmes agricoles aux intrants externes et de synthèse.
Réduire et compenser simultanément
Actuellement, les sols agricoles européens sont des émetteurs nets à hauteur de 60 à 70 Mt eq CO2/an essentiellement par la minéralisation.
Le Carbon Farming System regroupe cinq domaines d’action :
- la meilleure gestion des tourbières,
- le développement de l’agroforesterie,
- le maintien et l’augmentation du carbone organique des sols (plantation de haies, développement des prairies temporaires et des cultures intermédiaires entre deux récoltes, ainsi que l’apport de matière organique sur les sols, comme le fumier ou le compost),
- la meilleure gestion du bétail (gestion de l’alimentation et des déjections animales),
- et la meilleure gestion de l’azote et de la fertilisation.
Le potentiel de séquestration du carbone dans les sols est estimé entre 42 et 200 Mt eq CO2/an pour l’ensemble de l’UE. Cela illustre que, même dans les hypothèses les plus optimistes liées à des changements globaux des systèmes, de fortes réductions des émissions seront nécessaires dans le secteur pour atteindre l’objectif de neutralité climatique des terres fixé par l’UE d’ici 2035. Dans le même temps, les stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » fixent des objectifs ambitieux avec une réduction absolue de l’utilisation d’intrants de synthèse (engrais et pesticides) et une forte (re)diversification des agroécosystèmes pour enrayer l’érosion de la biodiversité et développer la résilience des systèmes agricoles.
Adopter une approche globale
Afin d’éviter des transferts de pollution ou d’émission d’un atelier à l’autre, le papier préconise de mettre en œuvre un système de Carbon Farming a minima à l’échelle de l’exploitation agricole, en prenant en compte l’ensemble des ateliers, ainsi que les émissions liées aux achats (périmètre « scope 3 »). Pour inscrire durablement de nouvelles pratiques qui impliquent la mise en place de cultures comme le chanvre ou les légumineuses, l’approche doit cependant dépasser l’exploitation agricole pour impliquer autant les semenciers que l’aval qui devra être à même de collecter, stocker, transformer et vendre ces cultures. Dans le même esprit, les auteurs plaident pour une évaluation multicritère privilégiant les pratiques offrant des avantages multiples (par exemple en matière de climat et de biodiversité), tout en minimisant les risques, et mettent en gardent contre des solutions « à double tranchant ». Par exemple, des additifs alimentaires utilisés pour réduire les émissions de méthane entérique chez les bovins mais qui affectent la qualité des déjections et donc la santé des écosystèmes.
Etant donné la baisse probable de production agricole induite par une réduction des intrants couplée à un besoin croissant en biomasse pour usage non alimentaire, cette stratégie doit, selon les auteurs, s’accompagner d’une réduction de la production animale utilisatrice de 43 % de la biomasse européenne en privilégiant les systèmes les plus extensifs, utilisant des surfaces et des végétaux n’entrant pas en concurrence avec d’autres usages et fournissant d’autres services écosystémiques.
Poser un cadre clair
Afin de soutenir des transformations systémiques et de répondre en même temps aux enjeux de climat et de biodiversité, cette note souligne l’importance du cadre d’évaluation et de financement. La métrique carbone devrait être systématiquement associée à d’autres indicateurs clés : émissions de GES/ha ; niveau de stockage de carbone dans les sols et mise en place d’infrastructures agroécologiques ; niveau de diversification des agroécosystèmes, de la parcelle aux paysages ; dépendance globale des systèmes agricoles à l’égard des intrants externes et de synthèse (y compris l’alimentation animale). Pour les auteurs, « il s’agit là d’un défi majeur, car aucun cadre existant ne le fait de manière satisfaisante ».
Ce cadre d’évaluation est d’autant plus important qu’il pourrait servir, au-delà du marché volontaire du carbone, de guide « taxonomique » pour orienter les investisseurs publics et privés à identifier les bons projets à soutenir. En la matière, les auteurs préconisent de privilégier le soutien aux changements globaux par rapport à des pratiques non systémiques comme l’introduction ou l’allongement des cultures intermédiaires. De même, n’est pas considéré comme prioritaire, le maintien de systèmes déjà vertueux du point de vue du climat et de la biodiversité (c’est-à-dire très diversifiés, avec un stock important de carbone dans le sol et un faible niveau d’émissions), qui peuvent bénéficier d’une reconnaissance du marché, c’est-à-dire d’une meilleure valorisation de leurs produits. Mais encore faut-il que ce dernier point soit avéré pour éviter la perte de ces systèmes vertueux…
Pour en savoir plus : Pour un système de carbon farming à l’appui des objectifs des stratégies agricole et climatique de l’UE
Source : IDDRI
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