Transition environnementale : propositions du Think Tank Agroalimentaire Les Echos pour le secteur Agri/Agro (Article d’analyse)
Le Think Tank Agroalimentaire Les Echos a rendu le 30 juin dernier ses 19 recommandations pour la transition environnementale du secteur qui nous nourrit. Au travers des regards croisés de sa trentaine d’experts associés, ce collectif multidisciplinaire cherche à concilier deux défis majeurs : le défi alimentaire et le défi environnemental. Agir à l’unisson pour décarboner toute la chaîne tout en continuant à produire, tel est le fil conducteur du document. Il est présenté comme un enjeu pivot de toute la transition écologique, mais aussi une source de nouveautés, en termes de gains économiques et techniques, de financements et d’alliances avec le consommateur.
Pour ce Think Tank, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de l’amont jusqu’à l’aval, constitue l’enjeu environnemental clé qui impacte toutes les autres dimensions : biodiversité, préservation des écosystèmes, gestion raisonnée des ressources. Par ses solutions liées notamment aux capacités de stockage de carbone du sol et du vivant et ses innovations technologiques, la filière agroalimentaire française est appelée à incarner cette bataille contre le changement climatique. Quant aux agriculteurs, ils se doivent d’être les « soldats de la lutte du changement climatique » selon l’expression du ministre de l’Agriculture (2019-2022), Julien Denormandie.
Le collectif invite d’abord la Ferme France à se doter d’un état des lieux initial, un point zéro. Ces diagnostics déployés auprès de chaque acteur, agriculteur comme industriel, sous l’égide des ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie, permettraient de définir la trajectoire ambitieuse de réduction des émissions. Cette « planification écologique de l’alimentation », pilotée par les politiques publiques, « fixée avec les acteurs mais pas uniquement par les acteurs » est le seul moyen, selon le Think Tank, de s’inscrire dans le rythme face à l’urgence.
Les sols, l’atout du secteur
Pour l’amont agricole, le stockage de carbone et la régénération des sols sont présentés comme des leviers majeurs encore trop peu déployés puisque la tendance actuelle est au déstockage. Des recommandations concrètes sont faites pour qu’ils deviennent des facteurs de production et d’atténuation reconnus et rémunérés. Parmi les propositions, un outil normalisé de mesure pour objectiver la contribution des sols à la transition environnementale et au stockage de carbone est un préalable. Une recommandation associée est de développer un indice de l’état organique des sols qui pourrait devenir un critère pour les transactions foncières, tel le DPE (Diagnostic de Performance Energétique) en immobilier. Le maintien voire l’amélioration de la qualité des sols par l’agriculteur seraient ainsi valorisés lors de la transmission. A contrario, en cas de dégradation, la responsabilité de l’exploitant serait engagée.
Le collectif propose également l’extension du statut d’entreprise à mission[1] jusqu’à la ferme avec comme mission de « nourrir et régénérer le système terre par la captation du carbone ». Cela permettrait à la fois de valider aux yeux du grand public la fonction de préservation de l’agriculture au-delà de sa fonction productive, mais aussi de valoriser ce statut dans les relations contractuelles au sein des filières et de faciliter l’accès à certains financements.
Le financement comme levier de la transition
La Commission Européenne a estimé à 200 milliards d’euros annuel supplémentaire, le budget nécessaire pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée à 2030. A l’échelle française, ce montant est estimé à 57 milliards d’euros soit 2 % du PIB, dont 5 milliards par an pour décarboner l’agriculture. L’objectif est d’utiliser ces financements pour déclencher des changements durables et systémiques. Les indicateurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance) orientent déjà les financements au profit des entreprises les plus vertueuses. Les crédits carbone et PSE (Paiements pour Services Environnementaux sont également des leviers pour financer de nouvelles pratiques. Encore faut-il que ces paiements soient revalorisés par une incitation des entreprises à compenser leurs émissions sur le territoire français plutôt que d’aller chercher des tonnes de carbone à moindre coût à l’autre bout du monde…
Des « primes bas carbone » sont aussi proposées pour rétribuer les agriculteurs qui ont déjà mis en place des pratiques vertueuses. En complément, le Think Tank propose de faire reconnaître les paysans comme chercheurs de terrain pour les faire bénéficier du crédit impôt recherche. Au niveau commercial, les contrats devraient être allongés pour sécuriser les modifications de pratiques. Enfin, le coût des produits devrait refléter le coût environnemental de leur production en faisant bénéficier les produits les plus vertueux d’une fiscalité avantageuse (TVA à 0 % par exemple), tandis que les plus polluants seraient soumis à une taxe ajoutée. Le préalable à cette solution étant évidemment de disposer d’un bon système de mesure.
Embarquer le consommateur
Par sa consommation et ses choix quotidiens, le consommateur a le pouvoir de modifier l’offre. Trois sujets de transition émergent à ce niveau : l’impact environnemental du produit, son emballage et le gaspillage associé (estimé à 30-40 % sur toute la chaîne alimentaire). Pour orienter le consommateur, une information environnementale basée sur un référentiel incontestable doit émerger. Ce qui est encore loin d’être le cas (voir article « Rapport du Conseil scientifique sur l’affichage environnemental dans le secteur alimentaire : d’importants travaux scientifiques restent à mener »). Le Think Tank recommande d’ailleurs d’examiner les questions de bien-traitance animale à part.
Quant à eux, les distributeurs doivent assumer leur rôle de sensibilisation des consommateurs (bilan carbone, saisonnalité, poids de l’emballage…), tandis que les organisations professionnelles représentatives du secteur doivent se saisir de chantiers collectifs (plastique par exemple) pour rendre visible l’accélération du mouvement. Pour lutter contre le gaspillage, des mesures à effet immédiat doivent être déployées comme l’harmonisation des dates limites de consommation entre les magasins ou la généralisation du doggy bag dans la restauration.
Pour en savoir plus : Restitution des travaux du Think Tank Agroalimentaire
Source : Les Echos
[1] Entreprise à mission : L’article 176 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte), introduit la qualité de société à mission. Il s’agit pour une entreprise d’affirmer publiquement sa raison d’être, ainsi qu’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux qu’elle se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
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