Développer la séquestration carbone par une meilleure gouvernance (Article d’analyse)
Dans une note, suivie d’un webinaire le 7 juin dernier, le Comité 21 et l’Association Bilan Carbone (ABC) ont livré leurs propositions de gouvernance pour mettre la séquestration au service de la neutralité carbone et de la préservation de la biodiversité.
La séquestration carbone consiste à maintenir le carbone hors de l’atmosphère dans un réservoir ou puits (biomasse, technologique, etc.) sur une période longue. Pour le Comité 21 et l’Association Bilan Carbone (ABC), qui travaillent de longue date sur les enjeux “climat”, la séquestration est un levier indispensable pour atteindre l’objectif de neutralité que s’est fixé la France à travers la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Dans une note commune, les deux associations développent leurs réflexions sur les modalités de gouvernance propices à favoriser ce levier.
L’agriculture et la forêt en première ligne
Premier levier de séquestration : préserver les surfaces de forêts, restaurer celles qui sont dégradées, favoriser le reboisement sur les friches agricoles et les terres dégradées et en assurer une gestion durable, par un prélèvement qui respecte le renouvellement des peuplements et la protection des sols.
Un deuxième levier important est d’éviter tout changement d’affectation des sols induisant du déstockage comme l’artificialisation des sols, le retournement des prairies ou la suppression de zones humides.
Les associations rappellent également l’importance de choisir des pratiques agricoles ayant un impact positif sur les flux de carbone comme l’allongement des prairies temporaires, l’intensification modérée des prairies peu productives, la mise en place de l’agroforesterie, les haies sur cultures et/ou sur élevages, les bandes enherbées, le semi-direct, etc. Ces usages de sols et pratiques peuvent être à la fois soutenus par des politiques publiques et des dispositifs privés (projets labellisés d’achats de crédits carbone).
Un point à retenir : le carbone se déstocke beaucoup plus rapidement qu’il ne se stocke. Au regard de l’enjeu de maintien du stock, il est tout aussi nécessaire, selon les auteurs, d’œuvrer et de financer la préservation des puits de carbone déjà existants que d’en créer de nouveaux.
Puits de carbone naturel vs puits de carbone technologiques
Les auteurs soulignent la différence entre puits de carbone naturels et technologiques.
Les puits de carbone naturels sont ceux qui se basent sur le vivant (forêts, zones humides, prairies, etc.) et qui permettent d’augmenter les capacités de séquestration sur le territoire national (afin de contribuer à l’atteinte de l’objectif de la SNBC) ou à l’international (dans une optique de solidarité climatique et de lutte contre les conséquences du changement climatique). Afin d’avoir un réel impact, les associations conseillent vivement de se tourner vers des projets labellisés, seul moyen de garantir l’exigence de traçabilité et de permanence des émissions séquestrées (au regard de leur résilience et de leur adaptation au changement climatique).
Les puits de carbone technologiques reposent sur des technologies de séquestration artificielles (procédés chimiques, captation industrielle, etc.) Ces technologies sont peu matures, coûteuses et peu à même de répondre aux objectifs d’augmentation des capacités de séquestration nationales comme internationales. Les associations conseillent de ne pas attendre le développement de ces solutions, qui verront très probablement le jour mais on ignore quand, dans quelles conditions de déploiement et à quel prix.
Une gouvernance à différentes échelles
La note fait enfin un large panorama de tous les outils politiques ou privés qui intègrent la séquestration. Depuis l’Accord de Paris adopté en 2015 lors de la COP21 et l’initiative « 4 pour 1000 » mettant en lumière le rôle crucial joué par l’agriculture et ses sols dans la lutte contre le changement climatique, la séquestration est désormais au cœur du programme européen « de la Ferme à la Fourchette », qui soutient l’adoption de méthodes agricoles favorisant la captation du carbone par les sols cultivés, et de la « stratégie Forêt pour 2030 ». En parallèle, une politique de lutte contre la déforestation vise à garantir sur le marché européen des produits n’ayant pas participé à la déforestation (cacao, soja, bœuf, huile de palme, café, bois).
A l’échelle française, la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone), le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique et la loi Climat et Résilience intègrent également l’enjeu de séquestration, notamment au travers de la lutte contre l’artificialisation des sols qui prend corps à l’échelle des territoires, dans les documents de planification comme les SRADDET (Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires). Le PCAET (Plan Climat-Air-Énergie territorial), réalisé par toutes les intercommunalités de plus de 20 000 habitants, impose quant à lui une estimation de la séquestration nette de CO2 et de ses possibilités de développement, et les PLU (Plan Locaux d’Urbanisme) visent à protéger les espaces de séquestration. Enfin, de nombreux labels, méthodes et outils se développent pour accompagner les organisations dans leur transition environnementale.
Mais nombre d’entre eux, parmi lesquels l’incontournable Bilan Carbone® ne permettent pas encore d’évaluer la séquestration au sein du périmètre d’activité d’une entreprise.
Quelles actions au niveau national ?
Accords internationaux, stratégies nationales, planifications locales : quelle articulation pour favoriser le plus efficacement le développement des capacités de séquestration du carbone ? Les auteurs soulignent le rôle déterminant des territoires dans la définition et la mise en œuvre des politiques de séquestration, ainsi que le soutien des initiatives locales. Mais cela nécessite une impulsion stratégique de la part de l’État, obligeant par exemple tous les documents de planification à être compatibles avec la SNBC (et pas seulement à la prendre en compte) et intégrer pleinement la séquestration. Cette dernière doit être mieux évaluée et il manque pour cela une méthode de calcul consensuelle. Les élus et techniciens doivent être mieux formés et les financements publics devraient être conditionnés à l’atteinte de la neutralité carbone. La fiscalité pourrait permettre de lutter contre l’artificialisation des sols en l’allégeant sur le foncier non bâti et la renforçant à l’inverse sur le bâti. Les principes d’anticipation et de solidarité devront être de mise pour laisser aux écosystèmes stockeurs le temps de se développer et éviter des inégalités entre ceux possédant beaucoup de puits et ceux en possédant peu.
Plusieurs organisations s’attachent à mieux définir le terme de neutralité carbone et à prévenir les risques de greenwashing. Selon un avis de l’Ademe publié en mars 2021, aucun acteur économique, collectivité, ou citoyen qui engage sa transition ne peut se revendiquer « neutre en carbone ». En effet, l’objectif de neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète. Une entreprise peut revendiquer sa contribution à l’objectif de neutralité en réduisant drastiquement ses émissions directes et indirectes, en préservant voire développant les puits de carbone existants dans sa chaîne de valeur, en proposant des produits et services bas-carbone et en finançant des projets de compensations certifiés chez des tiers. L’ISO mène actuellement des travaux qui devraient aboutir en 2023 pour « normaliser » la neutralité carbone à l’échelle des organisations. Dans le même sens, la Commission compte publier une proposition législative pour développer une certification des absorptions de carbone basée sur une comptabilité carbone solide et transparente.
Télécharger la note « Neutralité & séquestration : Des propositions de gouvernance pour mieux intégrer les puits de carbone dans nos stratégies bas carbone » (55 pages)
Source : Comité 21
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