Evaluation environnementale : à la recherche d’un cadre unifié et systémique (Article d’analyse)
Pour orienter une production agricole la plus durable possible, les décideurs ont besoin d’informations qualitatives et quantitatives complètes sur l’état réel et les évolutions possibles des agroécosystèmes. Faisant le constat qu’aucune méthode globale n’existe actuellement, INRAE a mobilisé un groupe de chercheurs internationaux, experts de différentes approches, pour avancer sur le sujet. Dans un article publié en Août 2022 dans Ecological Indicators, les auteurs invitent à combiner des indicateurs agro-environnementaux et écosystémiques aux indicateurs plus couramment utilisés issus de l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) ou de l’analyse de rendement. Ils y proposent une trame conceptuelle décrivant le système agricole en interaction avec les sphères sociale, économique et écologique, ainsi qu’une combinaison des 4 approches existantes pour adresser plus justement les grands enjeux de l’alimentation.
Depuis la fin des années 90, la préoccupation croissante pour les questions environnementales dans l’agriculture a conduit à une multiplication des méthodes d’évaluation et des indicateurs. Ces approches sont utilisées à différents niveaux, du terrain à l’échelle nationale, voire internationale. Avec l’approche Analyse de Cycle de Vie (ACV), elles sont rapportées au produit et portent sur tout le cycle de vie. Elles peuvent également être exprimées à l’hectare, ce qui permet de mieux rendre compte du fonctionnement des agroécosystèmes, pour les indicateurs agroenvironnementaux. Pour progresser vers une approche plus globale et harmonisée, TempAg, The International Sustainable Temperate Agriculture Network (www.tempag.net) a lancé un consortium international dont fait partie INRAE. C’est dans ce cadre que l’institution a réuni un groupe d’experts avec des approches différentes pour tenter au mieux de décrire la complexité des systèmes de productions alimentaires, en interaction avec le reste du monde. Ils ont ensuite testé leur approche sur un cas concret : les couverts culturaux.
L’ACV : une méthode de référence pourtant insuffisante
Aujourd’hui, l’ACV est la méthode centrale choisie par l’UE pour calculer les empreintes environnementales des produits. En agriculture, elle a jusqu’à maintenant, et pour répondre aux enjeux politiques, été principalement utilisée pour quantifier les émissions de gaz à effet de serre (GES). Les auteurs, dont des experts reconnus de l’ACV comme Hayo Van Den Werf (INRAE), précisent que « la méthodologie et les études actuelles de l’ACV ont tendance à favoriser les systèmes agricoles intensifs à haut niveau d’intrants et à « déformer » les systèmes agroécologiques moins intensifs, tels que l’agriculture biologique. Cela est dû en partie à l’approche par produit de l’ACV, qui se concentre sur la production de biomasse, sans considérer les autres services écosystémiques fournis par les systèmes agricoles. C’est aussi lié au fait que l’ACV prend rarement en compte les enjeux environnementaux clés que l’agroécologie vise à améliorer (santé des sols, état de la biodiversité, impacts de l’utilisation des pesticides), faute d’indicateurs opérationnels et satisfaisants sur ces enjeux ».
Quatre approches à combiner…
Les auteurs ont donc mobilisé trois autres approches existantes : les indicateurs agro-environnementaux (IAE), l’évaluation des services écosystémiques (ESA) et l’analyse des écarts de rendement (Yield Gap Analysis, YGA). Les indicateurs agro-environnementaux informent sur les états et les tendances des impacts environnementaux de l’agriculture (par exemple, la pollution de l’eau). C’est une approche plutôt locale, assez fine pour prendre en compte le milieu naturel récepteur de la pollution, mais peu standardisée et ramenée à l’unité de surface. Domaine de recherche plus récent mais en pleine croissance, l’évaluation des services écosystémiques étudie les liens entre les structures, les fonctions et les services écosystémiques d’une part, et les avantages associés pour l’homme d’autre part. La quatrième approche, Yield Gap Analysis (YGA), a été proposée pour évaluer la capacité de production alimentaire par hectare de terre et pour guider l’intensification durable de l’agriculture.
…Pour appréhender la complexité
L’agriculture est une activité humaine différente des autres dans le sens où elle fait partie intégrante du système écologique. Son utilisation des terres dans un paysage est le fondement de la production ; quant à la fourniture de produits agricoles, elle ne repose pas seulement sur des intrants manufacturés, mais aussi sur des services écosystémiques comme la préservation de la biodiversité associée aux écosystèmes agricoles. Pour en appréhender la durabilité dans toutes ses dimensions, les auteurs ont ainsi travaillé à schématiser la complexité des interactions d’une exploitation agricole avec son environnement selon 4 blocs : la ferme dans ses aspects sociaux et économiques, l’agroécosystème de la ferme comprenant des zones productives et des zones semi-naturelles, le système socioéconomique mondial et les autres écosystèmes. Ces blocs font l’objet de flux croisés de ressources, de produits, de polluants, mais aussi de services écosystémiques. Sur cette base, les auteurs ont listé 41 enjeux clés pour l’agriculture (depuis l’intensité d’usage des intrants de synthèse jusqu’à la nutrition, en passant par la rémunération des agriculteurs). Ils ont ensuite choisi le cas des cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) et analysé plus de 50 articles scientifiques pour déterminer quelle approche adressait quel enjeu et avec quelle finesse. Il ressort de ce travail que les quatre approches sont non seulement compatibles mais aussi nécessaires pour une vision juste des impacts environnementaux.
Référence : Bergez JE, et al. Integrating agri-environmental indicators, ecosystem services assessment, life cycle assessment and yield gap analysis to assess the environmental sustainability of agriculture. Ecological Indicators 2022; 141 : 109107.
Source : Veille CEP
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