A la recherche d’un équilibre entre production et consommation de viande : avis d’experts en direct du congrès de l’EAAP
Une session spéciale de conférences co-organisée par la Fédération européenne des sciences animales (EAAP) et l’Animal Task Force (ATF) s’est tenue le 27 août 2018. Retour sur les grands enseignements de cette manifestation centrée sur l’intérêt de parvenir à un équilibre entre une production et une consommation raisonnées de produits animaux, pour l’Homme, l’animal et la planète.
« Equilibre production/consommation : l’élevage pour le bien-être humain et la santé de la planète » : tel était le thème ambitieux de la session spéciale de conférences choisi par la Fédération européenne des sciences animales (EAAP) et l’Animal Task Force (ATF). Celle-ci s’est tenue le 27 août lors du congrès annuel de l’EAAP, à Dubrovnik (Croatie). Parmi ses objectifs : évaluer la part souhaitable d’aliments d’origine animale dans notre alimentation du point de vue de l’environnement et de la santé. Cette problématique a été développée dans ses différentes dimensions par des intervenants venus de différents pays européens.
La place des produits animaux dans un régime sain
Maria João Gregório, directrice général de la santé au sein du Programme National Portugais pour la promotion d’une alimentation saine, a d’abord livré un éclairage nutritionnel. Selon lui, « il existe un consensus dans les recommandations alimentaires internationales : les aliments d’origine animale font partie d’une alimentation saine et équilibrée ». Et de préciser : « Dans le cadre d’un régime alimentaire répondant aux recommandations nutritionnelles pour les fruits, les légumes, les céréales complètes, les noix et les légumineuses et ne dépassant pas les recommandations pour les sucres ajoutés, le sodium et les graisses saturées, la consommation de produits animaux (hors produits transformés et viandes rouges) aux quantités recommandées ne peut pas affecter la santé et peut même réduire le risque cardiométabolique. »
Sergiy Smetana, directeur au sein de l’Institut allemand des technologues alimentaires, a ensuite donné la vision de l’industriel. L’industrie alimentaire est-elle en mesure de proposer des sources de protéines alternatives sûres et plus durables que celles d’origine animale ? Oui et non, conclut l’expert : « La qualité des substituts de viande disponibles sur le marché est excellente et s’améliore, y compris en termes de profil nutritionnel. Les industriels de la viande s’impliquent dans la production de substituts hybrides contenant également des protéines végétales. Cependant, si l’on tient compte des paramètres économiques, sociaux et environnementaux, ces substituts ne sont pas plus durables que la viande. »
Pour une meilleure efficacité des ressources et moins d’impacts environnementaux
C’est avec une présentation au titre pour le moins accrocheur que Martin Scholten, chercheur au centre de recherche de l’université de Wageningen (Pays-Bas) et membre de l’Alliance mondiale pour la recherche sur les gaz à effet de serre d’origine agricole, a introduit le sujet de l’impact climatique de l’élevage : « Ne plus manger de viande pour sauver la planète ? Réfléchissez-y à deux fois avant de prendre une mauvaise décision ! » Selon cet écologiste, si la clé d’un bon équilibre entre production et consommation implique la réduction de notre consommation de viande, elle dépend surtout de l’amélioration de nos modes de production. Les solutions permettant de limiter l’impact environnemental de l’élevage sont nombreuses : sélection génétique de races produisant moins de méthane, amélioration de la digestibilité de l’alimentation animale, des conditions d’élevage, de la séquestration du carbone dans le sol, etc. Certes, réduire l’élevage est plus simple, mais coupler un système de production efficace à une gestion efficiente de l’ensemble des ressources sera plus bénéfique à terme pour tout le monde. La solution ? La circularité : le bétail crée du fumier qui régénère les sols, qui produisent plus de cultures et de fourrages, qui alimentent le bétail, favorable à la biodiversité… Un cercle vertueux reposant sur une meilleure alimentation animale et une meilleure fertilisation du sol.
Durabilité des ressources et des régimes
La session s’est poursuivie par une intervention sur le nécessaire équilibre à trouver entre les productions pour l’alimentation humaine et animale. « Le bétail consomme un tiers de la production céréalière mondiale et utilise 40 % des terres arables, mais il produit des protéines de haute qualité sur de grandes surfaces qui n’offrent pas d’autres alternatives (herbagères par exemple) », pondère Badi Besbes, de la division Santé et Production animale de la FAO. Et de vanter lui aussi l’intérêt de la circularité, en encourageant notamment l’utilisation de matières non comestibles, comme les sous-produits et résidus de culture.
Thomas Nemecek, de la division de la recherche agro-écologique et environnement de l’Agroscope (Centre de compétences suisse de la Confédération pour la recherche agricole), a ensuite comparé la durabilité des différents régimes alimentaires. En étudiant différents scénarios modélisés à partir de l’alimentation de la population suisse, il arrive à la conclusion qu’une optimisation de cette alimentation basée, d’une part, sur la réduction de la consommation de viande (à hauteur de 70 %) et de produits transformés et, d’autre part, sur l’augmentation de celles de céréales et de pommes de terre (à hauteur de 35 %), mais aussi sur la diminution drastique des produits importés, permettrait à la fois de se rapprocher des recommandations nutritionnelles et de réduire de moitié son impact environnemental. A noter toutefois que ni le type de viande à réduire, ni la nature des recommandations considérées n’ont été précisées par le chercheur pour parvenir à ces conclusions.
Trouver un équilibre durable pour l’élevage européen
La dernière partie de cette session de conférences était consacrée aux perspectives en matière de production animale au sein de l’Union européenne (UE). Annabelle Williams, de la RISE Foundation (Fondation pour le soutien à l’investissement rural en Europe), a d’abord présenté le concept de Safe Operating Space (SOS – Espace de Fonctionnement Sûr) pour le bétail européen. De manière générale, « un SOS est un équilibre entre les besoins humains et leurs impacts négatifs sur le plan social jusqu’à leurs répercussions environnementales ». En matière d’élevage, l’experte souligne que l’évolution vers un tel équilibre ne pourra se faire qu’en jouant sur deux leviers : la réduction des impacts négatifs de la production de bétail (augmentation de l’efficacité dans l’utilisation des ressources, gestion des déjections, diminution de l’intensité des productions et des densités animales, innovations) et un changement de consommation basé notamment sur une diminution de la part des protéines d’origine animale. « Le changement est inévitable, mais ce n’est pas une attaque contre le secteur de l’élevage, pointe Annabelle Williams. Les producteurs doivent être les partenaires de cette évolution et des fonds publics devraient être alloués à ce secteur afin de réaliser au mieux cette transition, que nous envisageons sur deux ou trois décennies. »
Pour compléter ce propos, la session s’est achevée sur une intervention axée sur les conséquences économiques de différents scénarios de production animale en Europe. Selon Roel Jongeneel, chercheur spécialisé en analyses des politiques et des marchés à l’université de Wageningen, les conséquences d’une réduction de consommation de protéines animales, pourraient être sérieuses et sont à analyser de près car « 60 % de la valeur ajoutée de l’agriculture européenne vient de l’élevage ». Cet impact potentiel pourrait être réduit par une valorisation par les distributeurs et les consommateurs auprès de garanties plus importantes en matière d’environnement et de bien-être animal. « La politique agricole commune de l’UE pourrait contribuer à transformer le système agricole actuel en un système dont l’impact environnemental serait moindre et contribuant à des choix alimentaires plus sains », ajoute-t-il, tout en précisant qu’il existe beaucoup d’incertitudes sur ces questions.
A noter : les résultats de cette session seront discutés à Bruxelles, le 7 novembre prochain, lors du séminaire de l’ATF, qui réunira des participants issus des pouvoirs publics, de l’industrie, de la recherche et de la société.
Source : Animal Task Force.
Article 7/7 du dossier "Elevage, viande et développement durable"
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