Le Haut Conseil pour le Climat publie son premier rapport (article de synthèse)

Créé en novembre 2018 par le président de la République, le Haut Conseil pour le Climat livre ses premiers avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de GES de la France. Le constat est sans appel : il va falloir faire mieux.

« La France n’est pas sur une trajectoire d’émission de gaz à effet de serre (GES) compatible avec ses engagements internationaux » : le constat du Haut Conseil pour le Climat est sans appel. Cet organisme indépendant récemment créé par le président de la République vient de publier son premier rapport. Les onze experts qui le composent1, tous reconnus dans leurs domaines (climat, économie, agronomie, transition énergétique…), ne ménagent pas les dispositifs politiques actuels, qu’ils jugent trop timorés et pas assez efficaces. « Les premiers efforts fournis sont réels, mais ils sont nettement insuffisants et n’ont pas produit les résultats attendus. Ils n’engagent pas les transformations socio-économiques profondes nécessaires pour aller vers la neutralité carbone », déplore Corinne Le Quéré, climatologue franco-canadienne et présidente de ce Haut conseil.

Une baisse insuffisante des émissions de GES

« Les engagements pris jusqu’ici sont insuffisants. Si des actions supplémentaires ne sont pas rapidement mises en œuvre, le rythme du réchauffement climatique pourrait s’accélérer », alertent les experts. Et de rapporter que le budget carbone2 sur 2015-2018 est dépassé, avec une décroissance moyenne de -1,1 % par an contre -1,9 % prévu. En cause : les secteurs du bâtiment et du transport, qui ont accumulé des retards importants. Les secteurs de l’agriculture et de l’industrie ont quant à eux suivi la trajectoire prévue, à savoir une quasi stabilité pour l’agriculture sur cette période (-0,1 %), avec notamment une stagnation des émissions de méthane liées à l’élevage. Rappelons toutefois que, sur une échelle de temps plus large, le secteur agricole a vu ses émissions diminuer de 8 % entre 1990 et 2018. « Cette baisse résulte d’une intensification des systèmes et pratiques de culture et d’élevage plus que d’un basculement vers des pratiques agro-écologiques », précisent néanmoins les experts.

Revoir l’ensemble du dispositif actuel

Face au constat général, les experts tirent le signal d’alarme : « L’ensemble du dispositif actuel de lutte contre le changement climatique est trop faible. Il n’a pas permis d’atteindre l’objectif de la SNBC12 et ne permettra vraisemblablement pas, en l’état, d’atteindre l’objectif du projet de SNBC2. » Les experts recommandent dès lors la mise en place de plusieurs actions pour assurer dans la durée la trajectoire bas carbone de la France3, à commencer par une prise en compte plus rigoureuse des objectifs de réduction des émissions de GES dans les politiques publiques et une évaluation systématique de l’impact en émissions de GES des politiques et mesures. Les experts rappellent également que « la taxe carbone est un outil puissant pour encourager la transition », tout en précisant qu’elle devra « être revue en profondeur pour garantir son appropriation sociale et son efficacité ».

Agriculture : une décroissance de -1,4 % par an des émissions d’ici 2025

Concernant le secteur de l’agriculture, non concerné par la taxe carbone, les experts considèrent que « le dispositif actuel est largement insuffisant, notamment au regard de la valeur de l’action pour le climat4. » Le Haut conseil pour le climat recommande de « renforcer le niveau et le contrôle des exigences environnementales liées à la PAC, afin d’induire des changements de pratiques agricoles plus substantiels » et « d’agir sur la demande alimentaire en s’appuyant autant que possible sur les synergies entre les recommandations nutritionnelles des agences sanitaires et une alimentation bas carbone. »

Rappelons que la stratégie nationale bas carbone table sur une décroissance de -1,4 % par an des émissions de GES du secteur agricole d’ici 2025.

Concernant les puits de carbone (comptabilisés à part), les experts émettent également plusieurs recommandations pour activer davantage ce levier, notamment « développer un plan crédible permettant de stopper l’artificialisation nette des sols agricoles, le retournement des prairies et la destruction des zones humides qui constituent d’importants puits de carbone. »

Les émissions liées aux importations augmentent

Autre sujet sur lequel les experts tirent la sonnette d’alarme : la non prise en compte des émissions de GES liées aux importations dans les émissions nationales de GES. Car si les émissions de GES de la France ont diminué d’environ 19 % entre 1990 et 2018, l’empreinte carbone des Français a elle augmenté de 20 % entre 1995 et 2015. « Depuis 1995, les émissions liées aux importations ont doublé quand celles liées à la production intérieure (hors exportations) ont diminué d’un cinquième », lit-on dans le rapport. Les émissions de GES liées aux importations sont ainsi devenues plus élevées que les émissions domestiques (hors exportations) depuis 2010.

À voir maintenant quelles suites compte donner le Gouvernement à ces recommandations, dont certaines pourraient être prises en compte dès l’examen parlementaire du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

Source : Haut conseil pour le climat.

1 Corinne Le Quéré (climatologue), Michel Colombier (spécialiste du changement climatique), Alain Grandjean (spécialiste de la transition écologique), Marion Guillou (spécialiste de l’alimentation et de l’agriculture), Céline Guivarch (spécialiste des impacts économiques du changement climatique), Jean-Marc Jancovici (spécialiste de la comptabilité carbone), Benoît Leguet  (spécialiste de l’économie du changement climatique), Valérie Masson-Delmotte (chercheuse en sciences du climat), Katheline Schubert (spécialiste de l’économie de l’environnement), Jean-François Soussana (spécialiste de l’agriculture et du changement climatique) et Laurence Tubiana (spécialiste en négociations sur le changement climatique).

2 La stratégie nationale bas carbone (SNBC) définit des plafonds nationaux d’émissions de gaz à effet de serre (dits budgets carbone) pour différentes périodes (SNBC1, SNBC2…).

3 La France s’est donnée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 dans le Plan Climat de juillet 2017.

4 Cette référence, exprimée en euros par tonne de CO2, permet d’évaluer et sélectionner les actions utiles à la lutte contre le changement climatique.