Régime EAT-Lancet : une nouvelle analyse remet en question les effets santé (article d’analyse)
Une remise en question des conclusions du rapport EAT-Lancet vient d’être publiée dans The Journal of Nutrition. Point par point, l’article s’arrête sur les principales failles de la méthode employée et démontre que leur correction conduit à des conclusions différentes. D’où la nécessité d’expertises complémentaires, transparentes et respectant les standards internationaux pour appuyer solidement des recommandations alimentaires.
Son objectif était louable : « Réduire la charge mondiale des maladies non transmissibles (NCD, pour non communicable diseases) liées à des régimes nutritionnellement déséquilibrés tout en s’orientant vers des systèmes alimentaires durables ». Pour autant, la commission EAT-Lancet n’avait pas convaincu et avait suscité de nombreuses réactions lors de la sortie de son rapport début 2019 (voir article d’analyse Parution du rapport EAT-Lancet). Un an après, un article publié dans The Journal of Nutrition par EpiX Analytics (société spécialisée de modélisation probabiliste) explique les principales failles méthodologiques du rapport EAT-Lancet et montre comment leur rectification modifie en profondeur les conclusions obtenues.
Les effets contre-productifs d’un régime de référence universel
C’est d’abord le caractère « global » du régime de référence (REF) émanant de l’approche EAT-Lancet qui est pointé du doigt, tant la définition d’un régime planétaire universel se heurte aux spécificités locales des pays en termes de situation sanitaire et socio-économique. Ainsi, si les facteurs de risques considérés comme responsables des NCD affectent significativement les pays développés, la malnutrition maternelle et infantile dans les pays pauvres pèserait plus de trois fois plus sur la santé des populations que tous ces autres facteurs combinés. Le régime REF recommandé par EAT-Lancet participerait ainsi à accroître les disparités entre populations, en réduisant la mortalité dans les pays à hauts revenus sans s’attaquer au problème de la malnutrition dans les pays à bas revenus comme ceux de l’Afrique subsaharienne.
Un manque de rigueur et de transparence
De plus, la méthode même employée par les experts de la Commission EAT-Lancet, « ni transparente ni systématique », interroge par son manque de clarté et de réplicabilité. Comment la recherche bibliographique a-t-elle été menée ? Quels sont les critères d’inclusion et d’exclusion des publications retenues à l’appui des recommandations formulées ? Pourquoi telle méta-analyse a été utilisée et cette autre non ? Pourquoi utiliser certaines associations entre aliments et risques de maladies (e.g. fruits à coques protecteurs vis-à-vis du risque de diabète de type 2 (DT2)) et en écarter d’autres (e.g. risque de cancer colorectal accru en cas de faible consommation de produits laitiers) ? Autant de questions qui restent sans réponse et qui mettent le rapport EAT-Lancet en porte à faux vis-vis des lignes directrices internationales pour la réalisation de revues systématiques, la façon de rapporter des conclusions et l’évaluation de la qualité des données pour soutenir des recommandations (systèmes GATHER, GRADE…).
Des erreurs méthodologiques à même de fausser les conclusions ?
Plus préoccupant encore, les données chiffrées utilisées par les experts de la Commission EAT-Lancet ne semblent pas toujours correspondre à celles mentionnées dans les publications citées à l’appui. En particulier, le risque relatif (RR) de DT2 associé à la consommation de viande rouge serait de 1,13 dans la publication originelle, versus une valeur de 1,15 utilisée dans le rapport EAT-Lancet ; de même pour le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) : 1,15 versus 1,1. Des différences subtiles en apparence mais qui auraient participé à fausser les conclusions formulées.
Également pointé du doigt : le fait d’avoir inclus les viandes rouges transformées (équivalent de la charcuterie) dans l’analyse des risques liés aux viandes rouges, alors que le régime REF proposé par EAT-Lancet exclut justement ces viandes transformées ; seules les viandes rouges brutes auraient donc dû être prises en compte d’après les experts d’Epix Analytics. Un manque de rigueur lourd de conséquences : après rectification, l’association entre consommation de viandes rouges brutes et le risque de DT2 deviendrait alors non significative ; et ne devrait donc pas être incluse dans les effets santé attribuables à la viande rouge sous le régime REF. Et de caractériser d’autres limites du même type pour le cancer colorectal et les AVC.
Enfin, la mauvaise prise en compte des incertitudes statistiques liées aux données utilisées entacherait aussi les résultats. Le calcul du nombre de décès évités grâce au régime REF repose en effet sur de nombreuses données, qui sont en fait des estimations assorties d’une incertitude (comme toutes les données statistiques utilisées en épidémiologie) : par exemple, les données reflétant les consommations alimentaires peuvent souffrir de biais de déclaration ou de mesure, et surestimer ou sous-estimer les consommations réelles ; ou encore, les risques de maladies liés à certains aliments sont toujours assortis d’un intervalle de confiance plus ou moins précis, témoignant de la difficulté à cerner la vraie valeur du risque ; de même pour les taux de mortalité spécifiques par maladie ; etc. Si ces sources d’incertitude sont classiques et normales dans une certaine mesure, il est ici reproché aux experts EAT-Lancet de n’avoir considéré que l’incertitude liée aux risques de maladies, alors qu’il aurait fallu « cumuler » toutes les autres sources d’incertitude.
Ré-analyse : trop d’incertitudes pour appuyer des recommandations fortes
Après l’identification de ces différentes sources d’erreur, une ré-analyse a été entreprise pour mesurer l’impact de leur rectification sur les conclusions. Les RR mentionnés dans les publications originales ont été utilisés, en excluant autant que possible l’effet des viandes transformées, et les différentes sources d’incertitude ont été intégrées. Résultat : une augmentation conséquente du niveau d’incertitude dans l’estimation du nombre de décès prévenus par le régime REF proposé par EAT-Lancet (erreur type multipliée par plus de 3) … qui remet sérieusement en cause les conclusions des auteurs. Les nouvelles estimations révèlent aussi que l’effet du régime REF vaudrait surtout par une meilleure adéquation des besoins et des apports énergétiques, sans effet majeur de la nouvelle composition nutritionnelle et alimentaire du régime proposée : en effet, dans la ré-analyse, la diminution du nombre de décès associée au régime REF n’est plus significativement différente du nombre de décès évités par la simple éviction de la sous-alimentation, du surpoids et de l’obésité grâce au régime REF.
Conclusion de l’article ? Sans remettre en cause le bienfondé de la recherche de régimes alimentaires à la fois favorables à la santé et à l’environnement, les auteurs estiment que les solutions proposées devraient être transparentes et réplicables dans leur construction, suivre les standards méthodologiques existants et intégrer les sources d’incertitude statistique ; à défaut, elles risquent d’inspirer des politiques publiques coûteuses et inefficaces.
Source : The Journal of Nutrition.
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