De nouvelles références nutritionnelles en vitamines et minéraux pour la population française (Article d’analyse)
Après la publication en 2016 de références nutritionnelles actualisées pour la population adulte française, l’Anses publie un rapport complété des dernières références bibliographiques pour cette population, et propose des références nutritionnelles pour toutes les populations spécifiques, des nourrissons aux seniors, sans oublier les femmes enceintes et allaitantes.
Nouvelles références nutritionnelles de l’Anses : les points clés
- – Prolongeant ses travaux de 2016 pour la population adulte, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié en avril 2021 les nouvelles recommandations nutritionnelles pour les vitamines et minéraux pour l’ensemble de la population française, dont les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes. Les valeurs proposées chez l’adulte ont également été complétées, notamment pour certains nutriments qui n’avait pas été traités en 2016.
- – Ces nouvelles références nutritionnelles jouent un rôle clé en santé publique : elles permettent notamment d’évaluer les risques nutritionnels (insuffisances ou excès d’apports) dans la population française et d’aiguiller les politiques publiques à mettre en place en conséquence.
- – Certains nutriments critiques pour la population française, c’est-à-dire pour lesquels il existe un risque d’inadéquation d’apports, sont d’ores et déjà identifiés, en particulier le fer, la vitamine B9, l’iode et la vitamine D.
- – Parmi les nutriments pour lesquels la viande est une source d’apport significative :
- * Les références nutritionnelles pour le fer ont été établies à partir des apports jugés nécessaires pour compenser les pertes de l’organisme. Le taux d’absorption du fer alimentaire a été calculé dans le cadre d’une alimentation omnivore, en considérant à la fois le fer héminique (exclusivement issu des produits animaux) et le fer non héminique. Le besoin en fer accru des femmes ayant des pertes menstruelles abondantes a conduit l’Anses à différencier la référence nutritionnelle pour cette population de celle pour les femmes ayant des pertes faibles ou modérées (même référence que pour les hommes).
- * Plusieurs références nutritionnelles ont été définies pour le zinc chez l’adulte, selon la teneur en phytates du régime (présents notamment dans les céréales et les légumineuses), ceux-ci réduisant l’absorption du zinc.
- * Quant à la vitamine B12, l’Anses a défini un apport satisfaisant (AS), correspondant à l’apport permettant un statut adéquat pour quatre biomarqueurs reflétant les fonctions métaboliques de cette vitamine. L’Anses rappelle que cette B12 est synthétisée par les micro-organismes, notamment ceux présents dans le rumen. Les principales sources alimentaires de vitamine B12 sont donc les abats (notamment le foie), la viande et notamment celle de ruminants, le lait et autres produits laitiers, les poissons et les œufs. La déficience en vitamine B12 est de ce fait particulièrement fréquente chez les végétaliens.
- – L’ensemble des nouvelles références nutritionnelles, pour chaque nutriment et chaque sous-population considérée, peuvent être consultées sur une page dédiée du site de l’Anses.
Saisie par la Direction générale de la santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait publié en 2016 une série de rapports destinés à appuyer la formulation de nouveaux repères de consommation alimentaire (voir article de synthèse : Rapport de l’Anses sur l’actualisation des repères du PNNS). L’un d’entre eux se consacrait à une étape préliminaire indispensable : la mise à jour des références nutritionnelles. Sauf que ce rapport ne portait alors que sur la population des adultes, annonçant que les populations spécifiques (personnes âgées, enfants, femmes enceintes…) seraient considérées dans un second temps.
C’est aujourd’hui chose faite avec la parution, le 23 avril 2021, des nouvelles références nutritionnelles en vitamines et minéraux pour la population française dans sa globalité : nourrissons, enfants, adolescentes et adolescents, femmes et hommes adultes, femmes enceintes ou allaitantes et personnes âgées. Dans l’avis et le rapport qu’elle publie, l’Anses a ainsi proposé de nouvelles références nutritionnelles pour les populations spécifiques – références qui n’avaient pas été actualisées depuis 2001 – mais a aussi complété le travail de mise à jour réalisé pour la population adulte, notamment pour les vitamines et minéraux qui n’avaient pu être traités en 2016.
Les conclusions de l’Efsa largement retenues
Pour établir ces valeurs, l’Anses s’est essentiellement appuyée sur les travaux d’expertise antérieurs d’agences sanitaires homologues, et en particulier ceux de l’agence européenne de sécurité sanitaire (Efsa), qui a égrené depuis 2012 une série d’avis proposant successivement des valeurs nutritionnelles de référence pour les différents nutriments.
Après un rappel des principales fonctions physiologiques et sources alimentaires de chacun des nutriments considérés, le rapport de l’Anses liste les conclusions des expertises antérieures pour chaque sous-population considérée pour indiquer ensuite les conclusions retenues.
Confirmant l’approche de 2016 qui rompait avec la notion d’apport nutritionnel conseillé ou ANC de 2001 (qui amalgamait plusieurs concepts), différents types de valeurs sont retenus pour chaque nutriment considéré, et notamment le besoin nutritionnel moyen (BNM), la référence nutritionnelle pour la population (RNP), l’apport satisfaisant (AS) et/ou la limite supérieure de sécurité (LSS) (voir encadré).
BNM, RNP, AS, LSS : de quoi parle-t-on ?
Besoin nutritionnel moyen, référence nutritionnelle pour la population, apport satisfaisant, limite supérieure de sécurité… à chaque type de valeur nutritionnelle sa signification, sa méthode d’établissement et son usage précis :
- Comme son nom l’indique, le besoin nutritionnel moyen ou BNM est le besoin moyen estimé au sein d’une population donnée (ex : hommes ou femmes adultes, enfants de 1 à 3 ans, etc.). Il est calculé à partir de valeurs individuelles souvent mesurées sur un petit nombre d’individus. Comme pour toute moyenne, certains individus ont donc des besoins plus élevés, d’autres plus faibles que cette valeur. Le BNM peut être utilisé pour évaluer les prévalences d’inadéquations d’apports dans une population.
- La référence nutritionnelle pour la population ou RNP est calculée à partir du BNM. Elle représente l’apport qui couvre les besoins de la quasi-totalité de la population considérée (97,5 % de celle-ci en général). Elle correspond souvent à l’ancien ANC (ou apport nutritionnel conseillé) et peut être utilisée comme une valeur cible de consommation pour la population.
- Quand on ne peut pas calculer le BNM et la RNP, ou que ces valeurs sont jugées insuffisantes, on utilise une autre valeur : l’apport satisfaisant ou AS. Celui-ci correspond à l’apport observé dans une population pour laquelle le statut nutritionnel est jugé satisfaisant.
- Enfin, s’il est important de veiller à des apports suffisants, des apports excessifs en certains nutriments peuvent être tout aussi problématiques. C’est pourquoi on définit aussi une limite supérieure de sécurité (LSS), qui correspond à l’apport journalier chronique maximal d’une vitamine ou d’un minéral considéré comme peu susceptible de présenter un risque d’effets indésirables sur la santé. En cas d’apports supérieurs à la LSS, un risque d’effets indésirables ne peut pas être écarté.
Focus sur quelques nutriments d’intérêt
Disponibles à la fois en ligne et dans le rapport, des tableaux récapitulatifs synthétiques présentent ainsi, pour chaque nutriment et chaque population considérée, les différentes références nutritionnelles retenues par l’Anses. Les démarches et valeurs proposées pour quelques nutriments d’intérêt sont présentées ci-dessous.
Fer
En 2016, l’Anses avait adopté les références nutritionnelles établies par l’Efsa pour les hommes (BNM 6 mg/j, RNP 11 mg/j), mais avait retenu une démarche différente pour les femmes menstruées. En effet, l’Anses avait estimé que, du fait de la grande variabilité du volume des pertes menstruelles, la distribution statistique des besoins en fer des femmes menstruées était biaisée et que la RNP unique proposée par l’Efsa était difficilement utilisable. L’Anses avait donc choisi de proposer deux niveaux de recommandations destinés respectivement aux femmes ayant des pertes menstruelles faibles ou modérées – en particulier aux femmes sous contraception hormonale – et aux femmes ayant des pertes menstruelles importantes. Cela se traduisait par une RNP de 11 mg/j pour les premières et de 16 mg/j pour les secondes, pour un BNM égal dans les deux cas et estimé à 7 mg/j.
La même dichotomie a ici été appliquée pour les adolescentes de 12 à 17 ans (RNP égale à 11 ou 13 mg/j selon les pertes menstruelles). Pour les femmes enceintes ou allaitantes, l’Anses a jugé protecteur d’appliquer la RNP définie pour les femmes dont les pertes menstruelles sont élevées, afin de couvrir les besoins supplémentaires liés à la grossesse, les pertes liées à l’accouchement et la nécessité de retrouver un statut en fer normal le cas échéant, et ce, malgré les adaptations physiologiques augmentant le taux d’absorption du fer durant la grossesse.
Pour les enfants à partir de 1 an, l’Anses a retenu la démarche de l’Efsa dans ses grandes lignes, en modifiant toutefois le taux d’absorption du fer considéré (10 % jusqu’au 11 ans), jugé trop faible. Selon l’Anses, ce taux de 10 % tenait compte du seul fer non héminique alors que les enfants commencent à consommer du fer héminique à partir de la diversification alimentaire (en intégrant de la viande et du poisson à leur régime). De plus, l’Anses a estimé que le taux d’absorption du fer non héminique chez l’enfant devrait être le même que celui considéré par l’Efsa chez l’adulte, soit 15 % en moyenne pour un régime alimentaire de bonne qualité riche en vitamine C et en l’absence de réserves en fer [ndlr : ce taux semble relativement élevé par rapport aux taux d’absorption classiquement considérés pour le fer non héminique (5 à 10 %)]. Pour calculer le taux d’absorption du fer chez les enfants après 1 an, l’Anses a donc considéré, un taux d’absorption de 15 % pour le fer non héminique, et de 25 % pour le fer héminique. Les données de l’enquête Inca 3 ont ensuite été utilisées pour estimer le pourcentage de fer héminique dans le régime des enfants. Les taux d’absorption ainsi obtenus (et légèrement modifiés pour tenir compte de l’évolution progressive du régime alimentaire entre 1 et 3 ans vers un régime s’approchant peu à peu de celui des adultes) ont donné lieu à des RNP plus faibles que celles de l’Efsa (4 à 6 mg/j selon les tranches d’âge versus 7 à 11 mg/j).
L’ensemble des références nutritionnelles retenues in fine pour le fer peuvent être consultées sur la page dédiée du site de l’Anses.
Le point sur l’absorption du fer héminique et non héminique
On trouve du fer dans l’alimentation sous deux formes : le fer héminique (c’est-à-dire niché dans un hème constitué de myoglobine ou d’hémoglobine) et le fer non héminique. Le fer héminique est présent exclusivement dans la chair animale (poisson et viande) tandis que le fer non héminique (ou fer métallique) est présent dans les autres aliments sources de fer (légumineuses, noix, céréales, jaune d’œuf, légumes à feuilles vertes, etc.). Certains composés végétaux comme les phytates et les tannins sont capables de former des complexes avec le fer non héminique, réduisant son absorption intestinale. Ainsi, le taux d’absorption du fer non héminique, estimé entre 5 et 10 % selon la qualité du régime alimentaire, est inférieure à celle du fer héminique, généralement estimée à 25 %. Par rapport au fer héminique, le taux d’absorption du fer non héminique se révèle aussi plus sensible aux niveaux de réserves de l’organisme.
Le taux d’absorption global du fer alimentaire dépend donc des proportions de fer héminique et non héminique dans l’alimentation, du niveau des réserves de l’organisme mais aussi de la présence de composés alimentaires affectant l’absorption du fer métallique.
Zinc
L’Anses a largement adopté la démarche de l’Efsa pour estimer les références nutritionnelles pour le zinc. Pour les adultes, plusieurs valeurs avaient notamment été proposées en fonction de la teneur en phytates dans le régime (présents notamment dans les céréales et les légumineuses), ceux-ci réduisant son absorption. Les RNP allaient ainsi de 7 à 14 mg/j chez l’adulte, selon le sexe et le niveau d’apport en phytates. Des besoins supplémentaires ont été considérés pour les femmes enceintes et allaitantes, mais pas pour les personnes âgées. Contrairement aux adultes, chez les enfants et adolescents, un taux d’absorption unique modéré a été considéré. À noter, une limite de sécurité a été définie pour le zinc (25 mg/j chez l’adulte), de forts apports en zinc pouvant diminuer l’absorption du cuivre.
Vitamine B12
Selon une démarche un peu différente, c’est un apport satisfaisant qui a été défini par l’Anses pour la vitamine B12, sur la base des travaux de l’Efsa. Chez l’adulte, des apports supérieurs ou égaux à 4 µg/j semblent en effet conduire à un statut adéquat pour quatre biomarqueurs qui, considérés conjointement, permettent de refléter l’ensemble des fonctions métaboliques de la cobalamine. Cet apport satisfaisant constaté chez l’adulte a ensuite fait l’objet d’extrapolations chez les enfants et les adolescents tenant compte des besoins de croissance. Des besoins supplémentaires ont été pris en compte pour les femmes enceintes et allaitantes.
Sodium
Alors que l’Anses n’avait pas été en mesure de fixer de références nutritionnelles pour le sodium dans son expertise de 2016 (jugeant les données « insuffisantes pour établir une LSS, une RNP ou un AS »), elle choisit ici de retenir la démarche du HMD (Health and Medecine Division, anciennement l’IOM ou Institute of Medecine américain) pour fixer un AS de 1,5 mg/j et une LSS à 2,3 mg/j pour les adultes (dont femmes enceintes et allaitantes). Les valeurs sont extrapolées chez les enfants et les adolescents sur la base des besoins énergétiques.
Des incertitudes à lever pour des références nutritionnelles plus précises
Si, dans le présent rapport, des références nutritionnelles ont finalement été fixées pour chaque classe d’âge et chaque situation physiologique, cela n’a pas été sans soulever certaines préoccupations de la part des experts, notamment liées aux incertitudes méthodologiques et aux approximations effectuées en cas de données manquantes. En particulier, les experts soulignent que la variabilité et la distribution réelles des besoins nutritionnels sont souvent inconnues dans la population, et que les hypothèses classiquement admises à leur égard ne sont ni confirmées ni infirmées par les données actuellement disponibles. Selon eux, la question de la biodisponibilité des nutriments constitue une autre des problématiques majeures rencontrées, celle-ci variant en fonction de l’aliment dans lequel le nutriment est présent (e.g., caroténoïdes plus biodisponibles dans les fruits que dans les légumes verts), du régime alimentaire (e.g., la proportion d’aliments végétaux pouvant réduire l’absorption de certains minéraux), de la forme du nutriment (e.g., folates moins biodisponibles que l’acide folique), ou encore du statut physiologique de l’individu (e.g., grossesse). « Or les données disponibles actuellement ne permettent pas d’intégrer ce niveau de précision dans l’établissement des références nutritionnelles. »
C’est pourquoi l’Anses appellent la poursuite de recherches pour préciser les valeurs de certaines références nutritionnelles, « pour lesquelles les distributions du besoin ne sont pas ou insuffisamment connues ou pour mieux caractériser la biodisponibilité de certains nutriments selon le contexte alimentaire ».
Une aide pour évaluer les risques nutritionnels dans la population
Enfin, l’aboutissement de ce travail d’actualisation des références nutritionnelles revêt une importance capitale en termes de santé publique. En effet, ces valeurs sont utilisées pour l’évaluation des risques nutritionnels (insuffisances ou excès d’apports) dans la population française et permettent d’aiguiller les politiques publiques mises en place en conséquence. Ainsi, et bien qu’il apparaisse nécessaire d’actualiser le travail d’estimation des prévalences d’inadéquations d’apports précédemment réalisé, l’Anses estime que « la couverture du besoin en certains nutriments identifiés en 2015 tels que le fer, la vitamine B9, l’iode et la vitamine D, reste un enjeu de santé publique ». Et de proposer notamment des mesures de gestion, comme l’enrichissement des denrées en vitamine D, et d’alerter sur la nécessité d’une politique permettant la couverture des besoins en vitamine B9 pour toute la population féminine susceptible de tomber enceinte.
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