Aliments ultra-transformés : quels (vrais) liens avec la santé ? (Article de synthèse)
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Deux nouvelles études concluent à une mortalité et un risque cardiovasculaire accru chez les forts consommateurs d’aliments ultra-transformés. Analyse et réflexions autour des effets santé de cette nouvelle manière de considérer et catégoriser les aliments, tel que proposé par la classification NOVA.
En 2014, le Brésil défrayait la chronique et suscitait de nombreuses réactions dans la communauté scientifique : les recommandations de son nouveau guide alimentaire étaient en effet fondées non pas sur la composition nutritionnelle des aliments, mais sur leur degré de transformation industrielle (selon la classification NOVA, voir encadré). Ce type de classification ne fait pas consensus au niveau scientifique. Les définitions des niveaux de transformation restent floues pour différents types d’aliments avec des possibilités de catégorisations différentes. Néanmoins, depuis la communication sur NOVA, les publications étudiant les relations entre les aliments transformés et la santé se multiplient.
Aliments ultra-transformés : une mortalité et un risque cardiovasculaire accrus
Deux études parues fin mai 2019 dans le British Medical Journal se sont ainsi penchées sur la question, dans deux populations européennes : la cohorte française Nutrinet et la cohorte espagnole SUN. Dans la première étude, portant sur plus de 100 000 adultes français, les chercheurs ont observé qu’une augmentation de 10 % de la part d’aliments ultra-transformés (groupe 4, voir encadré) dans le régime des Nutrinautes était associée à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires (+ 12 %), coronariennes (+ 13 %) et cérébro-vasculaires (+ 11 %). Inversement, les risques de ces maladies diminuaient avec le niveau de consommation d’aliments peu ou pas transformés (groupe 1, voir encadré). Dans la seconde étude, menée chez près de 20 000 adultes espagnols, la consommation de plus de 4 aliments ultra-transformés par jour était associée à une augmentation du risque de mortalité (toutes causes confondues) de 62 % par rapport à une consommation inférieure à 2 portions par jour.
Avant d’aller plus loin… des limites à garder à l’esprit
Comme le soulignent les auteurs, ces relations restent des observations qui ne préjugent pas d’une relation de causalité. Pour autant, ces réserves ne les empêchent pas de se positionner en faveur de politiques promouvant les aliments peu transformés et visant à limiter les aliments ultra-transformés. Des recommandations que l’on peut juger anticipées. D’abord du fait des limites intrinsèques aux études : questionnaires alimentaires non conçus pour la classification NOVA, manque de représentativité des cohortes (classes socio-professionnelles supérieures sur-représentées, etc.), hétérogénéité des aliments ultra-transformés et de leurs composants. Ensuite et surtout au regard de la controverse régnant autour du système NOVA en lui-même. Dans une analyse parue fin 2018[2], le Fonds Français Alimentation Santé soulignait notamment que « en l’état, la classification NOVA manque de robustesse, de rigueur, de précision et de cohérence. La diversité des caractéristiques propres des aliments rangés dans la classe des ultra-transformés, et sans doute celle de leurs effets sur la santé, s’oppose à ce qu’ils appartiennent à une catégorie unique ». Certains voient d’ailleurs dans la classification NOVA une façon détournée de regrouper dans la catégorie des ultra-transformés des aliments de profil nutritionnel défavorable ; sans pour autant permettre de répondre à une question centrale : quels sont les effets santé liés à des différences de matrices alimentaires entre aliments bruts et aliments ultra-transformés ? Enfin, la consommation d’aliments ultra-transformés pourrait n’être qu’un marqueur d’un mode de vie globalement moins favorable à la santé (à l’instar des produits bio associés à un mode de vie globalement plus sain, voir article « Plus de bio, plus de durabilité ? ») : en témoigne la comparaison des petits et grands consommateurs d’aliments ultra-transformés dans la cohorte SUN, les derniers ayant un IMC plus élevé, comptant plus de fumeurs et présentant davantage d’antécédents cardiovasculaires. Malgré un ajustement sur ces facteurs de confusion potentiels, des biais résiduels ne peuvent être exclus. Quoi qu’il en soit, la classification NOVA n’a pas fini de faire parler d’elle.
Les 4 groupes d’aliments de la classification NOVA
La classification NOVA[1] définit quatre groupes d’aliments en fonction de leur degré de transformation industrielle :
- les aliments pas ou peu transformés (groupe 1), qui correspondent à des produits frais ou conservés sans ajout de sel, sucre, huile ou additifs. Ils incluent les fruits, les légumes, la viande, le lait, le poisson, les œufs, les produits céréaliers type pâtes ou riz, etc. ;
- les ingrédients culinaires transformés (groupe 2) comme le sucre, le sel, l’huile, le beurre, le miel, etc. ;
- les aliments transformés (groupe 3) par ajout de sucre, sel, huile, ou fumés, séchés, fermentés en vue de leur conservation. Ils comprennent notamment les aliments en conserve, le pain, le fromage, etc. ;
- les aliments ultra-transformés (groupe 4) composés essentiellement de substances et produits industriels. Ils incluent les charcuteries, les pâtisseries ou gâteaux, les céréales de petit-déjeuner, les desserts lactés, les boissons sucrées, les pizzas, les plats préparés, les sauces, etc.
Références : Srour B, Fezeu L, Kesse-Guyot E, et al. Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study (NutriNet-Santé). BMJ, 2019; l1451. DOI: 10.1136/bmj.l1451 / Rico-Campà A, Martínez-González MA, Alvarez-Alvarez I, et al. Association between consumption of ultra-processed foods and all cause mortality: SUN prospective cohort study. BMJ, 2019; l1949. DOI: 10.1136/bmj.l1949
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