Comportement naturel et bien-être animal ne sont pas forcément liés (Article de synthèse)

Le fait de permettre aux animaux d’élevage d’exprimer leur « comportement naturel » (se percher, chercher sa nourriture, jouer…) est souvent mis en avant dans les filières de production animale comme indicateur clé de bien-être animal. Pourtant, ce lien de cause à effet ne fait plus consensus dans la communauté scientifique qui cherche désormais à identifier ce que l’animal apprécie, comment il fait ses choix, comment ses comportements évoluent et s’adaptent. Une revue de la littérature fait le tour de cette problématique et discute de son application en élevage.

L’idée qu’un animal puisse souffrir ou être perturbé par l’impossibilité d’exprimer des comportements normaux pour son espèce s’est développée dans les années 70 avec les travaux de Thorpe et Lorenz. Cette notion a ensuite été largement reprise par l’industrie agroalimentaire comme critère de mesure et preuve de son respect du bien-être animal, soutenu par une opinion publique sensible à cette dimension. L’expression du comportement naturel est aussi appelée 5e liberté animale. Ainsi, on veille à adapter l’environnement d’élevage à l’espèce. Par exemple, élever en groupe si c’est une espèce sociale, mettre des jouets à disposition des cochons ou des perchoirs à disposition des volailles. Pourtant, des critiques s’élèvent dans le monde scientifique pour contester cette approche jugée trop simpliste et apporter des réponses modernes aux quatre questions de Tinbergen (voir encadré) : l’expression des comportements naturels ne suffit pas à garantir le bien-être animal.

 Une approche ancienne…

D’après ce modèle, les animaux auraient des « schémas » de comportements ancestraux à reproduire sans lesquels ils seraient frustrés. Pourtant, en milieu naturel, les animaux doivent parfois adopter des comportements qui ne sont pas facteur de bien-être animal, comme lorsqu’il s’agit de chercher sans relâche de la nourriture ou de se cacher d’un prédateur. De même, certains comportements naturels reproduits en élevage peuvent conduire à un mal-être sur le moyen terme, comme de se surnourrir pour un chien en « souvenir » des jours de faim chez leurs ancêtres loup. Or, les animaux d’élevage sont différents de leurs ancêtres, tant par la sélection génétique que par leurs comportements et physiologie dans un environnement contrôlé par les humains, à un point tel que leurs besoins sont aujourd’hui totalement différents de ceux de leurs ancêtres sauvages.

 … à moderniser en regardant ce à quoi l’animal accorde de la valeur

Au cours des 60 dernières années, les études sur le comportement animal ont démontré que différents comportements naturels ont des causes, des développements et des effets différents sur la santé des animaux et donc sur leur bien-être. Pour établir des allégations d’amélioration du bien-être, il est important de savoir si ces comportements naturels sont appréciés par les animaux eux-mêmes. Aujourd’hui, il existe plusieurs méthodes pour découvrir ce que les animaux apprécient, allant de la simple observation de leurs préférences (par la vitesse avec laquelle ils s’approchent ou évitent quelque chose par exemple) à celle des efforts fournis par les animaux pour obtenir ce qu’ils veulent face à des situations « non naturelles ». Par exemple, des expériences montrent que les vaches laitières préfèrent avoir le choix d’aller au pâturage ou de rester à l’intérieur, bien que leur « nature » serait d’être au pré en permanence. Il faut également tenir compte des différences en termes de bien-être entre les races, les sexes et les individus d’âges différents au sein d’une même espèce. La collaboration entre le monde universitaire et les filières agroalimentaires est essentielle pour trouver des moyens pratiques d’améliorer le bien-être des animaux à grande échelle. Cela implique de tenir compte de la faisabilité de ces pratiques sur un élevage et de leur compatibilité avec la rentabilité de l’exploitation.

Les quatre questions de Tinbergen utilisées pour ces travaux
Les « quatre questions » de Tinbergen, publiées il y a 60 ans, constituent une approche systématique pour étudier le comportement animal. Ces quatre questions concernent : la fonction, l’évolution, le développement et le mécanisme. La première question vise l’objectif et l’utilité d’un comportement particulier, tandis que la deuxième se concentre sur l’histoire évolutive du comportement et sa pertinence pour la survie et la reproduction. La troisième question examine la manière dont le comportement se développe à partir des gènes et de l’environnement, tandis que la quatrième interroge les mécanismes physiques, neurologiques et hormonaux sous-jacents qui expliquent comment le comportement est produit. En utilisant cette approche, les chercheurs peuvent obtenir une compréhension complète et holistique du comportement animal, qui peut aider à développer des moyens plus efficaces afin de traiter les problèmes de comportement et d’améliorer le bien-être chez les animaux domestiques.

 

Référence : Dawkins MS. Natural Behaviour Is Not Enough: Farm Animal Welfare Needs Modern Answers to Tinbergen’s Four Questions. Animals (Basel). 2023 Mar 8;13(6):988.

 

Source : Animals

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