Evaluation de la relation entre la viande et la santé : les lacunes de la recherche
L’auteur de cette publication, responsable de la nutrition à l’USDA, rappelle que les recommandations actuelles de consommation de viandes rouges et produits dérivés sont basées sur des études épidémiologiques d’observation qui présentent de nombreuses limites. La recherche sur les effets de la viande sur la santé comporte des lacunes que seules de nouvelles méthodes permettant d’estimer précisément les consommations alimentaires peuvent combler. On sait que la consommation de viande cuite a contribué à l’évolution de l’espèce humaine et au développement de la taille de son cerveau. La viande est un aliment dense en nutriments essentiels et qui fournit des protéines de haute qualité, du fer héminique, du zinc, des vitamines B6 et B12. Malgré ces atouts, la viande a été mise en cause dans des études épidémiologiques établissant un lien entre sa consommation (et celle de ses produits transformés) et le risque de diabète de type 2, d’obésité, de maladies cardiovasculaires ou encore de certains cancers. Si bien que plusieurs gouvernements et instances ont recommandé de limiter les consommations de viandes rouges et de ses produits dérivés. Si ces études d’observations ont leur limite, il est important de réaliser qu’il n’existera jamais d’essai contrôlé randomisé sur la consommation de viande en raison des coûts, de la durée et du nombre de participants que cela nécessiterait. Sans compter l’aspect éthique si l’on devait pousser à la consommation de viandes alors qu’elles sont actuellement considérées comme un facteur de risque. Nous devons donc nous baser sur les données des études d’observation. Aujourd’hui, la plupart de ces études rapportent des risques relatifs faibles. De plus, elles présentent de nombreuses limites comme la difficulté à estimer précisément les apports alimentaires, le manque d’hypothèses pré-établies, des comparaisons multiples et la présence de nombreux facteurs de confusion (poids, apports en fruits et légumes, activité physique, tabagisme, alcool), qui sont des facteurs de risque connus (et pour certains puissants) et souvent significativement corrélés à la consommation de viande. Ceci limite donc la fiabilité des conclusions de ces études. Ces études d’observations sont aussi très hétérogènes et ne remplissent pas les nombreux points nécessaires pour établir une causalité (AB Hill, 1965); dont le facteur le plus important est la force de l’association, qui dans les études sur l’alimentation, est habituellement <1.5 mais n’est pas considéré comme suffisante dans les autres études épidémiologiques hors champs de la nutrition. Accepter des petits risques statistiquement significatifs comme étant des risques réels à partir d’associations « observées », a déjà conduit à une longue liste d’échecs comme cela a été le cas dans la recherche sur le béta-carotêne et le cancer du poumon, les régimes faibles en graisses et le cancer du sein ou les maladies cardiovasculaires, pour lesquels rien n’a été confirmé par des essais randomisés. Concernant les études portant sur les principaux médiateurs possibles d’un effet des viandes sur la santé (graisses, fer héminique, nitrite de sodium, Neu5Gc, TMAO), elles ont toutes leurs limites et certaines se contredisent, ne permettant pas le consensus. Par ailleurs, les facteurs individuels (génétiques, épigénétiques, microbiote, fibres) sont susceptibles de modifier les effets observés de la viande. Enfin, dans le cas des maladies chroniques non transmissibles avec de multiples facteurs de risque, il est peu probable qu’un seul mécanisme puisse expliquer une grande partie de la différence de sensibilité au développement de ces maladies. Ceci suggère que quel que soit le rôle que le régime ou d’autres facteurs environnementaux puissent jouer, nous ne devrions pas imaginer qu’un seul facteur est dominant, à moins que le risque relatif associé soit exceptionnellement fort (un facteur 10 au minimum), comme cela est le cas pour le tabagisme et l’amiante. La seule façon de faire des progrès dans ce domaine sera de développer de nouvelles méthodes objectives pour saisir avec précision les apports alimentaires et en nutriments sur le long terme tout en les combinant avec les données démographiques et médicales. Nous serons alors en mesure de démêler le vrai du faux pour savoir s’il existe une relation causale entre la consommation de viandes et des effets négatifs sur la santé. En attendant ce jour, recommander un apport modéré en une variété d’aliments reste encore ce qu’il y a de mieux à faire. Source : Research gaps in evaluating the relationship of meat and health. David M. Klurfeld. Meat Science. 2015 May 23.
Article 22/59 du dossier "Viande, alimentation et cancer"
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