Intégrer la qualité nutritionnelle des protéines animales dans leur évaluation environnementale (Article d’analyse)
Alors que de nombreuses Analyses de Cycle de Vie (ACV) concluent que les produits animaux devraient être limités voire supprimés de l’alimentation humaine du fait de leurs impacts environnementaux, une étude récemment publiée apporte un éclairage plus nuancé. Pour les auteurs, il est grand temps de prendre en compte dans l’analyse la qualité nutritionnelle des protéines animales et des produits animaux.
Née dans les années 1960, l’analyse de cycle de vie (ACV) est aujourd’hui largement utilisée pour évaluer l’empreinte environnementale de différents produits que nous achetons et consommons, dont les produits alimentaires. L’impact est généralement rapporté au kg de produit (exemple : émissions de CO2/kg d’aliment produit). Compte tenu de la fonction nutritionnelle de l’alimentation, cette unité s’avère limitante pour apporter une information complète. Ainsi, la tendance depuis une vingtaine d’années est de rapporter l’empreinte environnementale au service nutritionnel rendu par l’aliment : c’est le principe de l’ACV dite « nutritionnelle ». Pour cela, l’empreinte environnementale de l’aliment est rapportée non plus à un simple référentiel de masse , mais à une unité fonctionnelle nutritionnelle de référence. Bien souvent, par souci de simplicité et d’accès aux données, c’est la quantité de protéines apportées par l’aliment qui est considérée comme unité de référence (ex : émissions de CO2/kg de protéines produites). Un article publié dans The International Journal of Life Cycle Assessment fin 2022 questionne toutefois cette stratégie, tant le choix du référentiel de comparaison influence les conclusions d’une ACV et les empreintes environnementales des différents produits.
Au-delà de la quantité, prendre en compte la qualité des protéines
L’article part du constat suivant : les études récentes ayant réalisé des ACV ont conclu que les aliments d’origine animale (en particulier ceux issus des ruminants) devraient être limités – voire évités – dans l’alimentation humaine en raison de leur impact relativement élevé sur l’environnement par rapport aux aliments végétaux riches en protéines. Or, nombre de ces études utilisent les protéines comme unité fonctionnelle de référence, alors que cette unité ne prend pas en compte d’autres dimensions nutritionnelles essentielles, telles que la biodisponibilité et la digestibilité des acides aminés, la teneur en acides aminés indispensables ou encore la présence de micronutriments d’intérêt dans les aliments sources de protéines. Pour les chercheurs, ces dimensions devraient être considérées avant de formuler de telles recommandations de limitation ou d’éviction de produits animaux à destination de la population mondiale ; d’autant que ces produits contribuent à couvrir les besoins nutritionnels des populations des pays du Sud et de certaines populations à risque dans les pays à haut revenu (enfants, femmes en âge de procréer, personnes âgées). Autrement dit, au-delà de la quantité de protéines, l’unité fonctionnelle de référence utilisée dans les ACV comparant l’empreinte environnementale des produits animaux et végétaux devrait aussi considérer la qualité des protéines (voire d’autres caractéristiques nutritionnelles, telles que les micronutriments, non considérées ici).
Des empreintes environnementales réduites pour les produits animaux
Pour illustrer l’importance de la prise en compte de la qualité des protéines, les chercheurs ont réalisés le calcul de deux types d’empreintes environnementales – les émissions globales de gaz à effet de serre (EGES) et l’utilisation de terres – en appliquant ou non un facteur correcteur pour prendre en compte la qualité des protéines : le score DIAAS (voir encadré).
Résultats ? Lorsque l’on corrige les calculs en appliquant ce score DIAAS, pour 100 g de protéines produites, les EGES de la viande de bœuf (qui a un DIASS de 130 %, parmi les plus élevés) se trouvent réduites de 17 à 12 kg d’équivalent CO2 et l’utilisation des terre de 22 à 15 m²*année. À l’inverse, les empreintes environnementales du blé (dont le DIAAS n’est que de 43 %) augmentent de 57 %. Ainsi la prise en compte de la qualité des protéines modifie sensiblement les résultats des ACV et le calcul des impacts des produits végétaux et animaux.
Le DIAAS, un score qui rend compte de la qualité globale d’une protéine
Le fait de consommer une quantité suffisante de protéines ne suffit pas nécessairement à couvrir ses besoins nutritionnels. La qualité des protéines ingérées a aussi son importance. En effet, les protéines sont composées de différents acides aminés. Si certains peuvent être synthétisés par l’organisme, ce n’est pas le cas d’autres acides aminés – dits essentiels ou indispensables – que l’organisme doit donc impérativement se procurer en quantités suffisantes dans l’alimentation pour couvrir ses besoins. Or, la présence de ces acides aminés indispensables varie selon les sources de protéines alimentaires.
Proposé par la FAO en 2013, le DIAAS (pour Digestible Indispensable Amino Acid Score) rend compte de la qualité globale de la protéine en considérant à la fois sa composition en chacun des acides aminés indispensables et leur digestibilité individuelle au niveau de l’intestin grêle. Un score supérieur à 100 % signifie que la protéine permet de couvrir les besoins pour tous les acides aminés indispensables. Les produits animaux ont des scores DIASS supérieurs aux produits végétaux, et généralement supérieurs à 100 %.
Inclure d’autres dimensions de durabilité dans l’ACV ?
Les chercheurs soulignent que l’objectif de l’étude est d’amener la communauté scientifique à réfléchir aux améliorations à apporter aux ACV nutritionnelles, jusque-là souvent basées uniquement sur la teneur protéique de l’aliment, sans considération des aspects qualitatifs associés. Au-delà des protéines, la densité nutritionnelle plus globale des aliments pourrait être considérée, par exemple en utilisant des scores tel que le Nutrient Rich Food (NRF 9.3) qui classe les aliments selon leurs teneurs en nutriments à privilégier et à limiter. De même, si seules deux dimensions de l’empreinte environnementale sont ici prises en compte, de nombreux autres indicateurs d’impact (eutrophisation, acidification…) mériteraient d’être davantage mis en avant. Enfin, pour les chercheurs, les ACV devraient aussi tendre à intégrer la durabilité de l’alimentation au sens large, c’est à-dire en y incluant aussi des dimensions mesurant les impacts économiques et sociaux.
Référence : McAuliffe GA, Takahashi T, Beal T, Huppertz T, Leroy F, Buttriss J, Collins AL, Drewnowski A, McLaren SJ, Ortenzi F, van der Pols JC, van Vliet S, Lee MRF. Protein quality as a complementary functional unit in life cycle assessment (LCA). Int J Life Cycle Assess. 2023;28(2):146-155. doi: 10.1007/s11367-022-02123-z.
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