La place des protéines végétales dans l’alimentation durable : tour d’horizon des travaux de l’INRA (Article d’analyse)

Rééquilibrer les proportions de produits animaux et végétaux dans notre alimentation : tel est le thème du dossier publié par l’INRA à l’automne 2019. L’occasion de présenter, et de nuancer, les tenants et aboutissants de cette nécessité, à travers des focus sur les travaux actuels de ses équipes de recherche.

En novembre 2019, l’INRA a consacré un dossier entier à l’accent à mettre sur les protéines végétales dans nos assiettes afin de tendre vers une alimentation plus durable. Comme rappelé en préambule du dossier par l’organisme de recherche, selon les termes de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), « l’alimentation est durable lorsqu’elle contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des habitants d’un pays tout en étant culturellement acceptable, économiquement accessible à tous et ayant un impact limité sur l’environnement. L’objectif est d’assurer les besoins de la population sans compromettre le développement des générations futures ».

Les raisons d’un rééquilibrage entre produits animaux et végétaux selon l’INRA

Pour être durable, notre alimentation actuelle pêcherait par deux aspects. D’une part, les protéines animales représentent 60 % de nos apports protéiques totaux. Or, selon les recommandations nutritionnelles, une proportion de 50 % maximum serait davantage souhaitable. D’autre part, d’après la FAO, 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux activités humaines sont dues aux productions animales, en particulier l’élevage bovin. D’où la nécessité d’un rééquilibrage de nos assiettes entre les produits animaux et végétaux.

Des travaux de recherche nuancés pour sortir des analyses binaires

Du côté nutrition comme du côté environnemental, il est appréciable de trouver un peu de nuances et de questionnements à ces affirmations devenues leitmotivs. Car si le respect des recommandations nutritionnelles et la réduction des EGES constituent des critères indiscutables pour rendre notre alimentation plus durable, d’autres aspects sanitaires et environnementaux sont trop souvent occultés (voir article « Faut-il réduire notre consommation de viande ? L’Inra livre des données pour comprendre »).

Comme l’illustrent des travaux rapportés dans le dossier, certains chercheurs s’interrogent ainsi sur les conséquences sanitaires du respect des recommandations nutritionnelles (et notamment de l’augmentation des consommations végétales comme les fruits et légumes ou les céréales complètes), qui conduit à augmenter notre exposition aux pesticides et autres contaminants présents dans l’alimentation. Quant aux conséquences environnementales des productions animales, le dossier n’oublie pas de rappeler que certes, les vaches ruminent et produisent de grandes quantités de méthane (GES), et que l’alimentation du bétail mobilise des terres arables et peut participer à la déforestation, selon la part d’alimentation importée dans les rations alimentaires des animaux1. Pour autant, comme le montrent des travaux de l’INRA, l’élevage permet de conserver les prairies permanentes, « véritables réservoirs de biodiversité et puits de carbone [qui] stockent en moyenne 700 kg de carbone par hectare et par an ». Et de souligner que l’élevage extensif basé sur l’herbe permet de compenser en partie les émissions de méthane des bovins ; et que l’élevage aide à valoriser des co-produits de l’agriculture non voués à la consommation humaine, comme par exemple les tourteaux d’oléagineux.

De la difficulté à faire évoluer les comportements

Ceci étant dit, le dossier s’attache ensuite à discuter des verrous à lever et leviers à activer pour amorcer le rééquilibrage entre produits animaux et végétaux.

Les habitudes des consommateurs, tenaces, constituent le premier frein. Celles-ci sont acquises dès le plus jeune âge, la petite enfance étant considérée comme « une période matrice où se forment nos préférences ». Les représentations mentales associées aux différentes familles d’aliments expliquent l’attachement des consommateurs aux produits animaux et la part importante qu’ils occupent aujourd’hui dans nos régimes. « Dans la plupart des ménages, la viande trône au centre des assiettes. Le geste naturel, lors de la préparation des aliments, est d’apprêter un morceau de viande quel que soit son accompagnement », relève le dossier. En interviewant des représentants de familles, des chercheurs ont ainsi montré que la viande était associée à un symbole de force (voire de virilité), de vitalité et de bonne santé, mais aussi de plaisir et de rassasiement.

Dans une autre expérience, des chercheurs de l’INRA ont demandé à des adultes omnivores d’imaginer des repas pour diverses occasions. La viande était le premier produit alimentaire choisi et les repas étaient construits autour de cet aliment. Les légumes secs étaient très rarement choisis ; lorsqu’ils l’étaient, c’était le plus souvent associés avec de la viande. Les raisons de ce manque d’intérêt ? « Les légumes secs ne sont pas appréciés, les consommateurs les trouvent difficiles à préparer, ou les considèrent comme des aliments pour végétariens… La plupart des consommateurs étaient conscients de leurs bénéfices santé mais cette connaissance ne suffisait pas à influencer leurs choix », analyse le dossier.

Identifier les stratégies efficaces ?

Dans ce contexte, pour donner davantage de place au végétal dans l’assiette, les stratégies envisagées ne manquent pas. Mais ne donnent pas encore les résultats escomptés.

Ainsi, bien que l’expérimentation d’un repas dit végétarien (c’est-à-dire constitué de protéines végétales et/ou d’œufs et/ou de produits laitiers) au moins une fois par semaine soit devenue obligatoire fin 2019 en restauration scolaire, celui-ci ne semble pas encore au point. Des analyses de séries de repas végétariens servis dans des établissements pilotes ont en effet montré que « la qualité nutritionnelle de ces alternatives n’était pas toujours au rendez-vous, notamment du fait de la faible diversité des plats servis en alternative à la viande ou au poisson dans les cantines, essentiellement composés d’œufs et de fromage. »

Des travaux d’une équipe d’économistes de l’Inra ont montré par ailleurs qu’informer les consommateurs sur les risques associés à une consommation trop élevée de viande rouge ne changeait en rien leur préférence et leur choix de plats carnés (chili con carne, pâtes bolognaise, couscous) versus leur alternative végétarienne.

Le recours aux taxes pour modifier les comportements pourrait présenter une certaine efficacité, comme le montrent d’autres travaux, bien que les réductions de GES obtenues par ce levier semblent bien maigres par rapports aux objectifs ciblés. À noter à ce sujet que ce principe de taxe n’est construit que sur le critère d’impact carbone, à partir des chiffres moyens disponibles pour toutes les viandes de ruminants, sans différenciation des systèmes ni des pays de production.

Concilier habitudes alimentaires et durabilité

Néanmoins, comme souvent, les approches les plus efficaces pourraient être celles qui perturbent le moins les habitudes des consommateurs. Des chercheurs ont d’ailleurs utilisé ce critère dans une série de modélisations visant à imaginer une alimentation durable qui soit proche du régime moyen des Français. Conclusion ? « En modérant quelque peu notre appétit pour les produits animaux [- 50 g/j de viande-poisson-œuf, c’est-à-dire en passant de 140 à 90 g/j] et en les remplaçant par des végétaux [+ 150 g/j de fruits et légumes, c’est-à-dire en passant de 350 à 500 g/j], nous pourrions tous limiter de façon significative notre impact carbone [-30 à -40 %] ».

Source : INRA.

1 En France, cette part reste faible par rapport aux rations alimentaires des ruminants qui proviennent à 90 % d’exploitations agricoles et à 95 % du territoire français.