L’agriculture et l’alimentation projetées dans 4 scénarios de l’ADEME : une vision orientée carbone (Article d’analyse)
Un solde nul à 2050 entre émissions annuelles de gaz à effet de serre et absorptions – naturelles ou technologiques – pour l’ensemble des activités humaines : tel est l’objectif des politiques françaises et européennes. Mais comment ? Par quelles trajectoires ? A la veille de l’élection présidentielle de 2022 et en amont des délibérations collectives sur la Stratégie Française Énergie Climat, l’Ademe porte au débat public 4 scénarios, impliquant des trajectoires contrastées dans les différents secteurs. Focus sur les orientations proposées pour l’agriculture et l’alimentation avec une approche trop limitée au carbone et aux frontières françaises.
« L’objectif de cet exercice n’est pas de proposer un projet politique, ni « la » bonne trajectoire. Il s’agit plutôt de contribuer à rassembler des éléments de connaissances techniques, économiques et environnementales pour alimenter des débats nourris sur ce qui est possible et envisageable », lit-on en préambule du récent rapport de l’Ademe « Transition(s) 2050 – Choisir maintenant, agir pour le climat ». Basé sur deux années de travaux croisés d’experts, le rapport présente quatre chemins « types », cohérents et contrastés, pour conduire la France vers la neutralité carbone : « Génération Frugale » (S1), « Coopérations territoriales » (S2), « Technologies vertes » (S3) et « Pari réparateur » (S4). Ces quatre scénarios sont inspirés de ceux du GIEC dans son rapport spécial 1,5°C de 2018.
4 scénarios basés sur des choix de société différents
S’ils visent tous à aboutir à la neutralité carbone, les 4 scénarios empruntent des voies distinctes et correspondent à des choix de société différents. Les premiers scénarios S1 et S2 misent notamment sur une agriculture très sobre en « intrants » (« agriculture à bas niveaux d’intrant » et « production intégrée »), une consommation relocalisée et une réduction importante de la part des protéines animales (consommation de – 30 % à – 50 %). Les scénarios S3 et S4 s’orientent quant à eux davantage sur les performances des filières (« conventionnel raisonné ») et les solutions technologiques (captage technologique du CO2 dans l’air).
L’agriculture, à la croisée des enjeux
À l’horizon 2050, le secteur agricole est à la croisée de multiples enjeux : il doit à la fois répondre aux demandes alimentaires et non alimentaires, fournir différents services écosystémiques indispensables (stockage de carbone, mais aussi réservoir de biodiversité, conservation des sols et de la qualité des eaux…) et s’adapter à l’évolution du climat, tout en contribuant à l’objectif de neutralité carbone de la France. Selon les scénarios, différents leviers interdépendants sont mobilisés : l’agroécologie, la réduction des cheptels et un passage à des systèmes plus extensifs, la baisse des besoins en irrigation, la production de biomasse à vocation énergétique. Seuls les scénarios S1 et S2 permettent d’atteindre les objectifs de réduction des GES et de réduire par ailleurs la consommation d’eau d’irrigation, l’usage des produits phytosanitaires et de fertilisants de synthèse. A contrario, S3 et S4 favorisent les systèmes plus intensifs, mais optimisés techniquement pour réduire leurs impacts.
Lien entre pratiques et usage des sols
Par souci de simplification pour la modélisation, trois modèles agricoles types sont décrits : « bas niveau d’intrants » (0 phytosanitaires, faible utilisation d’engrais de synthèse), « production intégrée », « conventionnel raisonné ». La généralisation des pratiques plus agroécologiques, le développement d’espaces naturels non productifs et de puits biologiques de carbone sous forme de forêts, dans des proportions décroissantes de S1 à S4, induit, dans les premiers scénarios, une baisse des rendements agricoles et une extensification, donc une augmentation de l’empreinte sol de l’agriculture. Cela est compensé théoriquement par une réduction de la consommation des produits animaux, libérant ainsi des terres. Théoriquement seulement, car ces terres « libérées » ne sont en réalité pas toutes de la même qualité, comme le précise le rapport sans toutefois rectifier son analyse. Ainsi, une prairie permanente ne pourra en général produire ni blé ni légumes car elle n’est pas labourable. Les scénarios les plus extensifs (S1 et S2) se conjuguent également avec le développement de l’agroécologie et des « pratiques stockantes » (agroforesterie, prairies…), ainsi qu’une urbanisation très contrôlée. Les scénarios S3 et S4 proposent une consommation de biomasse maximale pour des usages multiples (énergie, etc.). Cela est permis par une intensification à la surface agricole, avec un usage important d’intrants de synthèse.
La composition des régimes présentée comme levier majeur
De nombreux déterminants sont examinés pour l’impact climatique de l’alimentation : quantités totales ingérées, part de végétal versus produits animaux (viande, poissons, laitages, œufs), type de viande et de produits animaux consommé, modes de production et origine, efficacité des chaînes logistiques, pertes et gaspillages, respect des saisonnalité et, dans une moindre mesure car difficilement quantifiables, les parts respectives de local et de national ainsi que le niveau de transformation des aliments. Pourtant, ce sont 2 indicateurs qui sont mis en exergue dans les résumés : la part de bio et la réduction de la consommation de viande et en particulier la viande rouge qui est mise en exergue comme levier principal (alors que les modélisations intègrent une baisse des protéines animales dans leur ensemble – viande rouge, viandes blanches mais aussi lait, œuf, …). Trois scénarios sur quatre simulent donc un régime alimentaire moyen des Français avec « moins de protéines carnées, tout en privilégiant la viande de qualité ». La baisse de consommation de viande est mise en en œuvre drastiquement dans S1 (division par 3) et S2 (division par 2) ; dans une moindre mesure dans S3 (- 30 %). Dans ces scénarios, la baisse de consommation de viande libèrerait des terres pour extensifier une production végétale plus sobre en intrants mais aussi des espaces naturels non productifs stockant du carbone. Mais cette vision semble occulter un ensemble d’interactions écologiques et économiques ainsi que de nombreux enjeux du secteur agricole.
Les limites
Le rapport précise que cette prospective n’aborde que partiellement les nombreux enjeux du secteur agricole qui feront l’objet de prochains approfondissements : environnementaux (les émissions de GES, la qualité des sols, la gestion de l’eau, la biodiversité), économiques et sociaux (la viabilité et la compétitivité des filières, l’emploi et les revenus dans le secteur et les filières, la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire...), sans oublier le bien-être animal. Par ailleurs, sur le plan macro, le « reste du monde » est considéré comme un tout suivant le même chemin et certaines options pourraient conduire à augmenter l’empreinte carbone importée.
Commentaire supplémentaire d’Interbev
Il est regrettable pour la filière que ces limites ne soient pas mises en avant aussi clairement dans ce rapport que les messages sur l’élevage. La baisse forte des cheptels dans certains scénarios aurait un impact important sur la biodiversité qui n’a pas été quantifié faute de méthode stabilisée et de données localisées. Par ailleurs, l’évolution du commerce international et des règles associées devraient être impérativement intégrés dans ces scénarios, ainsi que les risques d’importation. Il semble essentiel que ces points soient approfondis et que ces visions soient désormais confrontées aux questions du terrain.
Source : Ademe.
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