L’analyse nutritionnelle du cycle de vie : bonne idée ou périlleuse usine à gaz ? (Article de synthèse)
Vouloir agréger des indicateurs déjà complexes (ACV et qualité nutritionnelle) en un seul et unique indice ressemble, selon Bradley Ridoutt, à une fausse bonne idée. La simple communication parallèle de données ACV et nutritionnelles lui paraît préférable.
L’analyse nutritionnelle du cycle de vie ou n-ACV est un concept récent intégrant des aspects nutritionnels à une ACV. Sa philosophie : pourquoi aborder la nutrition humaine et la santé environnementale comme des efforts distincts, alors que les améliorations des systèmes alimentaires peuvent contribuer aux deux. Un effort méritoire, lorsque l’on sait que l’impact environnemental des régimes alimentaires repose en grande partie sur la consommation excessive d’aliments dits « non essentiels » (de faible densité nutritionnelle ; trop gras, trop sucrés, trop salés ; alcool ; etc.), loin devant les aliments « de base » dont la viande rouge non transformée (voir article « Tenir compte des limites planétaires pour caractériser un régime sain et durable »). Pour peser les avantages et risques d’un tel indice, Bradley Ridoutt passe au peigne fin les deux approches les plus courantes de la n-ACV : la nutrition en tant que fonction ou en tant que catégorie d’actifs.
La nutrition dans l’unité fonctionnelle : avantages et limites
Première manière d’aborder la n-ACV : intégrer la nutrition dans l’unité fonctionnelle. Les résultats de l’ACV sont exprimés par rapport à la composition en nutriments des aliments qui contribuent directement au régime alimentaire (fruits et légumes, noix et graines, légumineuses et viandes, etc.). Mais pour l’auteur, le calcul se heurte très vite à la complexité de l’alimentation : certains aliments sont prêts à être consommés, d’autres nécessitent une préparation élaborée ; les aliments qui sont riches en un nutriment peuvent manquer d’un autre, et vice versa ; il n’existe pas de mesures de la satiété qui puissent être appliquées de manière générale ; il n’y a pas de fonction unique qui s’applique à tous les aliments, ces derniers étant par nature multifonctionnels ; etc.
L’exemple donné des produits laitiers et de ses substituts est éloquent :
- si l’unité fonctionnelle est l’apport en calcium, les émissions de GES les plus faibles sont obtenues pour une boisson d’avoine avec calcium ajouté ;
- si l’unité fonctionnelle est la fourniture de vitamine B2, les émissions de GES les plus faibles sont en revanche obtenues pour le lait à teneur réduite en matières grasses ;
- tandis que, si l’unité fonctionnelle est un indice alimentaire australien reposant sur 18 nutriments (NRF-ai – voir article « Un indice nutritionnel tout en finesse » lien à ajouter lors de la mise en ligne), les résultats diffèrent encore.
Toute incorporation de la nutrition dans l’unité fonctionnelle d’une ACV alimentaire doit donc être entreprise avec prudence et uniquement si elle est compatible avec l’objectif de l’étude.
La nutrition comme catégorie d’impact : avantages et limites
Seconde façon d’aborder la n-ACV : inclure la nutrition comme catégorie d’impact. Avec une première limite : ces modèles concernent les impacts potentiels sur la santé humaine découlant du cycle de vie du produit (rareté des ressources naturelles, par exemple l’eau et les terres consommées par les biocarburants), et non les impacts potentiels sur la santé humaine du produit lui-même. Et l’auteur de s’interroger sur la cohérence de cette approche : « Si ce type de compensation est introduit pour les aliments, il devrait être entrepris de manière cohérente pour tous les produits. Les évaluations du cycle de vie des carburants diesel devraient-elles également inclure les effets positifs sur la santé humaine liés à leur utilisation dans la production alimentaire ? Qu’en est-il de l’électricité utilisée dans les hôpitaux ? »
Pourquoi faire compliqué ?
Au final, l’auteur s’en remet à ce sage proverbe « le mieux est l’ennemi du bien » : il n’est déjà pas facile de condenser indépendamment l’ACV et la nutrition en un seul chiffre, il semble donc bien illusoire de vouloir combiner les deux. Et si certains cas peuvent justifier les n-ACV, une présentation parallèle des données environnementales et nutritionnelles serait selon lui moins risquée. D’autant que, à ce rythme, pourquoi se limiter à la nutrition et l’environnement ? « Un système alimentaire durable comporte d’autres dimensions, notamment le bien-être des animaux et les impacts sociaux et économiques, qui peuvent également être considérés en parallèle. »
Source : Ridoutt, B. Bringing nutrition and life cycle assessment together (nutritional LCA): opportunities and risks. Int J Life Cycle Assess 26, 1932–1936 (2021). (PDF disponible sur abonnement)
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