L’élevage fait partie de la solution (Article de synthèse)

La fondation FARM (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde) a donné pour titre à sa dernière émission Transitions : « Et si l’élevage faisait partie de la solution ? ». Dans un contexte où les productions animales sont trop souvent mises en avant pour leur impact environnemental négatif et l’usage des terres, différents experts partagent leurs visions sur l’avenir des systèmes d’élevage et leur place dans nos mondes agricoles et alimentaires. Ils distinguent trois formes d’élevages, dont l’élevage pastoral et l’élevage intégré à l’agriculture. Si certaines formes d’élevage sont dommageables pour l’environnement et doivent être réduites, plusieurs sont irremplaçables dans des systèmes agricoles qui contribuent à la biodiversité, à la gestion des paysages et à la fermeture des cycles biogéochimiques.

 Claire Aubron, enseignante-chercheure à l’Institut agro de Montpellier, Xavier Poux, chercheur associé à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et Bio Goura Soulé, assistant technique élevage et pastoralisme pour la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest)  ont été réunis en juin dernier par Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation FARM, pour croiser leurs regards autour de la question de la place de l’élevage dans une agriculture durable. Tous partagent l’importance de distinguer les types d’élevage et les zones géographiques quand il s’agit d’impact environnemental.

 Différents types d’élevage aux impacts distincts

De tout temps et partout dans le monde, l’élevage a eu et continue d’avoir de nombreuses fonctions au-delà de la production de lait et de viande : fourniture d’engrais, d’énergie de traction, de cuir, utilisation de résidus de cultures et de surfaces non cultivables. Ces multiples usages ont toujours leur place dans l’élevage pastoral et l’élevage intégré aux cultures. D’ailleurs, à l’échelle mondiale, presque la moitié de l’alimentation animale est constituée par des tiges et des feuilles, ce qui nuance la question de la compétition alimentaire. A contrario, se sont développés depuis le 19e siècle, principalement après-guerre dans un contexte d’excédents de grains et ce de façon très variable selon les espèces animales, des élevages spécialisés avec une production exclusive de viande ou de lait et, pour certains systèmes, une alimentation animale provenant en grande partie de l’extérieur de l’exploitation via des cultures dédiées. D’après les trois experts, c’est ce type de système dépendant aux intrants et entrant en concurrence avec l’alimentation humaine qui doit diminuer dans le monde, et notamment les pays du nord, à l’aide de normes par exemple au sujet du bien-être animal.

Evolutions souhaitables

Au nord, l’enjeu est de recoupler l’élevage aux cultures dans un contexte où le prix de l’énergie et des engrais augmentent. Dans le scénario TYFA produit par l’Iddri, l’élevage garde sa place mais ne dépend pas d’importations de soja (qui représentent actuellement l’équivalent de 20 % des surfaces agricoles européennes rendant l’UE déficitaire en calories). L’autonomie protéique provient de prairies naturelles plus riches en légumineuses et de surfaces de légumineuses en rotation avec les céréales. Xavier Poux fait l’hypothèse que les normes de limitation des intrants qui s’appliqueraient aux cultures permettraient ce développement protéique. En parallèle, le cheptel diminue. Au Sud, en revanche, l’enjeu est d’intensifier de manière raisonnée l’élevage en utilisant des races plus productives, grâce à une meilleure gestion de la santé animale et à l’intégration de cultures fourragères. L’objectif étant d’accroître l’autonomie locale pour la production de protéines animales de qualité. Bio Goura Soulé rappelle également l’utilité sociale et économique de l’élevage principalement pastoral en Afrique de l’Ouest, où 80 % du cheptel est mobile, par une contribution locale à la création de richesse et d’emplois. L’urbanisation croissante, l’augmentation des importations de produits animaux bon marché et la concurrence avec d’autres secteurs économiques menacent cet élevage pourtant nécessaire à la sécurité alimentaire à long terme.

Au Nord comme au Sud, une protection nécessaire pour développer un élevage durable

Bio Goura Soulé rappelle que les importations de lait et de viande en Afrique de l’Ouest empêchent le développement d’un élevage local et la nécessité d’avoir de vraies politiques régionales permettant d’améliorer la production et la productivité pour satisfaire la demande alimentaire locale. Or, il existe dans le monde des exemples de protection réussis : Claire Aubron décrit la révolution blanche en Inde, une politique nationale qui a permis de rassembler en coopérative laitière 18 millions d’éleveurs produisant moins de 3 l de lait par jour en moyenne en régulant les importations et les installations d’industries laitières. De son côté, Xavier Poux explique qu’en Europe également un élevage agroécologique ne se développera que s’il est protégé de produits importés issus d’exploitations industrielles. Il rappelle également la nécessité d’une coordination intra-européenne afin d’éviter de tirer les productions vers le bas dans la course à la productivité.

Plaidoyer pour un élevage intégré

En résumé et pour conclure, les experts sont invités à revêtir un costume d’avocat de l’élevage et à répondre en 30 secondes à la question : dans quelles conditions l’élevage peut-il participer au développement durable des agricultures ? Pour Claire Aubron, il faut s’appuyer sur les fonctions de l’élevage – pâturage, transfert de nutriments entre espaces, fourniture d’énergie – en remplacement de la chimie et des ressources fossiles, afin d’en faire des alliés précieux pour construire des agricultures durables. Pour que ces types d’élevage subsistent, il faut réguler la concurrence des formes d’élevage intensifs spécialisées en limitant leur développement au sud et au nord et en accompagnant les sorties de ces modèles d’élevage qui ne sont pas durables. Xavier Poux souscrit à cette analyse et rappelle que l’élevage est au centre de nombreux enjeux environnementaux. Il ajoute que la cohabitation des modèles intensifs et agroécologiques n’est pas possible, les premiers concurrençant les seconds. D’où l’intérêt, selon lui, que les politiques et les normes orientent l’élevage vers un choix clair. Bio Goura Soulé termine en insistant sur l’importance, d’une part, de maintenir l’ensemble des fonctionnalités de l’élevage pour qu’il puisse jouer un rôle moteur dans les pays du Sud et, d’autre part, de lui assurer une meilleure protection ainsi qu’une transformation maîtrisée pour accroître la productivité et ainsi garantir une autonomie en protéines animales aux populations locales.

Pour regarder la vidéo : Émission Transition(s) – Ep.4 – Et si l’élevage faisait partie de la solution ?