Les pistes de la FAO pour atténuer les GES des systèmes d’élevage sans compromettre les besoins en protéines animales (Article d’analyse)

Au travers de son dernier rapport « Pathways towards lower emissions, A global assessment of the greenhouse gas emissions and mitigation options from livestock agrifood systems », la FAO rebalaye les pistes à destination des décideurs pour une production animale mondiale moins émettrice de gaz à effet de serre. Ce rapport évalue le niveau d’émissions actuelles et estime également les émissions futures du secteur dans un contexte d’accroissement de la demande mondiale en protéines. Le rapport démontre que l’on peut infléchir la courbe des émissions tout en augmentant la production. En effet, si la lutte contre le changement climatique doit être une priorité pour le secteur de l’élevage, elle ne doit pas se faire au détriment de deux autres Objectifs de Développement Durable (ODD) également essentiels, à savoir l’éradication de la pauvreté et l’élimination de la faim d’ici 2030. La FAO était présente à la COP28 au travers d’un pavillon et plus de 200 évènements pour rappeler que la production alimentaire durable doit faire partie intégrante des solutions et être soutenue.

Le 8 décembre 2023, en pleine COP28, la FAO a publié un nouveau rapport offrant une évaluation mondiale des émissions de gaz à effet de serre (GES) et des options d’atténuation au niveau des systèmes d’élevage à vocation alimentaire. En 2015 (année de référence choisie pour le rapport), la production animale de la ferme jusqu’aux distributeurs a produit l’équivalent de 85 millions de tonnes de protéines de haute qualité (330 Mt de viande, 810 Mt de lait, 78 Mt d’œufs). Ces protéines contribuent à hauteur de 21 % à l’apport calorique moyen et l’élevage apporte de nombreux services économiques et sociaux. La demande en produits animaux a quadruplé dans le monde entre 1970 et 2020 et sa progression à venir est projetée à + 20 % en 2050 avec l’accroissement des niveaux de vie et de l’urbanisation, notamment en Afrique.

Une mise à jour des émissions projetées à 2050

D’après le modèle GLEAM (Global Livestock Environmental Assessment Model) de la FAO, qui évalue les émissions directes et indirectes depuis la production des intrants nécessaires à l’alimentation des troupeaux jusqu’à la première transformation, la production animale représente dans le monde 6,2 Gt éq CO2 par an, soit approximativement 12 % des émissions anthropogéniques en 2015. Dans la balance, la production bovine (viande et lait) pèse 3,8 Gt éq CO2 par an, soit 62 % des émissions du secteur, tandis que les petits ruminants contribuent à hauteur de 7 %. Au total, la viande pèse 2/3 des émissions, le lait 30 % et les œufs 3 %. Dans ces émissions, 60% sont des émissions directes (sur la ferme), tandis que les 40 % restants proviennent essentiellement de la production d’aliments pour le bétail (intrants mais aussi déforestation). En l’absence d’interventions et de gains de productivité, l’augmentation de la demande risque de porter les émissions mondiales attribuables à l’élevage à près de 9,1 Gt éq CO2 d’ici 2050. Le rapport rappelle notamment que pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (c’est-à-dire rester sous la barre des 2°C d’augmentation de température d’ici 2050), le méthane des ruminants doit être réduit de 11 à 30 % d’ici 2030 et de 24 à 47 % d’ici 2050.

Des différences d’intensité carbone selon les pays

Le rapport identifie des disparités significatives dans ce qui est communément appelé « intensité des émissions » ou « empreinte carbone » – c’est-à-dire les émissions relatives associées à la production d’une unité de lait, de viande ou d’œufs – – entre les pays, les espèces et les systèmes de production. Ces empreintes vont de 50 à plus de 350 kg éq CO2 par kg de protéines. Cette variabilité – particulièrement présente sur les productions issues de ruminants, s’explique par les conditions pédoclimatiques et les races, mais aussi par les pratiques d’alimentation et de gestion des troupeaux et des cultures. Cette analyse comparative offre des pistes de réduction. Néanmoins, il faut être vigilant à ce que leur mise en œuvre isolée ne se traduise pas par des effets négatifs sur d’autres aspects de l’environnement, sur le volet social ou encore sur le bien-être animal. Car, comme le précise le rapport, quand on rapporte les émissions aux seules denrées alimentaires, la productivité est valorisée mais peut faire oublier la multifonctionnalité de l’élevage, encore bien présente dans de nombreux pays (traction, rôle d’actif financier, d’épargne et de statut social).

Deux volets d’atténuation : la production et la consommation

De ce travail est également tiré un guide pratique disponible en anglais : Five practical actions towards low-carbon livestock. La première action citée est de renforcer l’efficacité de la production animale et l’utilisation des ressources. Il s’agit en effet d’améliorer la productivité par l’amélioration de l’alimentation, la génétique, la santé animale, la meilleure gestion du troupeau et l’utilisation des technologies de l’information, tout en veillant à accroître la circularité des systèmes. La deuxième action consiste justement à intensifier les efforts de recyclage (résidus de culture et coproduits pour l’alimentation, effluents d’élevage et d’abattoir pour la fertilisation). La FAO rappelle en effet qu’un tiers de la production est perdue tout au long de la chaîne alimentaire, d’où l’intérêt de réassocier géographiquement élevages et cultures. La troisième action consiste à concevoir et développer des systèmes d’élevage et d’alimentation basés sur la nature et stockant du carbone. Le pâturage tournant ou l’agroforesterie sont par exemple des solutions permettant d’accroître la productivité et le stockage de carbone. La quatrième action se situe sur le volet de la consommation : une alimentation saine pour tous ce qui signifie un équilibrage des consommations de produits d’origine animale et végétale dans les pays à revenu élevé mais surtout une amélioration de l’accès aux aliments d’origine animale dans les pays à faibles revenus. Enfin, la cinquième action consiste à élaborer des mesures politiques intégrées et cohérentes pour favoriser le changement.

Des politiques à construire

Toutes ces solutions nécessitent un investissement accru dans le secteur de l’élevage et des politiques adaptées pour conduire le changement. La FAO propose une combinaison de mesures englobant des investissements dans les infrastructures, le soutien à la recherche et au développement, des interventions réglementaires directes sur des points spécifiques, comme la gestion du fumier ou encore la mise en œuvre d’instruments fondés sur le marché (tarification, taxes, subventions…). Par exemple, des systèmes de labellisation et de suivi/comparaison des émissions et des pratiques depuis la ferme pourraient être mis en place pour soutenir l’orientation des consommateurs vers des produits bas carbone. Un système de taxation serait très complexe à mettre en œuvre sur les produits animaux estiment les auteurs du rapport. Les subventions quant à elles devraient être toutes orientées vers le même objectif : produire des biens communs.

Toutes ces options doivent être intégrées dans une stratégie cohérente et concertée localement avec les différentes parties prenantes pour être adaptées au contexte et éviter ainsi les impacts négatifs non intentionnels sur la sécurité alimentaire, la nutrition, la santé et l’environnement, conclut le rapport.

Source : FAO