Parution du rapport EAT-Lancet (Article d’analyse)
Mi-janvier, le rapport EAT-Lancet était dévoilé, apportant les premières conclusions d’une trentaine de scientifiques relevant de la Commission éponyme. Objectif annoncé : proposer un consensus scientifique définissant un régime alimentaire sain et une agriculture durable. Mais le consensus trouvé est loin de faire l’unanimité…
Le 16 janvier dernier, le rapport EAT-Lancet a été dévoilé. A l’origine de ce document de 51 pages : la Commission EAT-Lancet sur les aliments, la planète et la santé, qui réunit plus de 30 scientifiques de renommée mondiale dans le but de parvenir à un consensus scientifique définissant un régime alimentaire sain et durable. Le lendemain de cette publication, une conférence en direct d’Oslo entérinait le lancement du projet EAT-Lancet avec, dans la foulée, une trentaine de conférences démultipliant le message aux quatre coins du globe. Sauf que, loin de faire consensus, ce rapport soulève bien des questions.
Une « alimentation saine » loin des recommandations actuelles
Premier objectif affiché : définir une alimentation saine. Pour les experts de cette Commission, « les régimes sains présentent un apport calorique approprié et sont constitués d’une palette d’aliments végétaux, de faibles quantités d’aliments d’origine animale, des graisses insaturées plutôt que saturées, et de petites quantités de céréales raffinées, d’aliments hautement transformés et de sucres ajoutés. »
Mais à y regarder de plus près, leur « consensus » sur cette définition s’avère loin des recommandations habituelles. Alors que le World Cancer Research Fund (WCRF), dans la 3e édition de son rapport parue il y a quelques mois, préconise une consommation maximale hebdomadaire de viande rouge (bœuf, agneau, porc, veau, cheval…) de l’ordre de 350 à 500 g de viande cuite par semaine (ou 700-750 g de viande crue), la EAT-Commission propose…. 14 g par jour, soit 50 g par semaine (soit l’équivalent d’un steak de 100 g tous les 15 jours). Un chiffre également très éloigné des nouvelles recommandations françaises de l’Anses : le 23 janvier 2019, dans l’actualisation de ses repères de consommation pour les principaux groupes d’aliments, l’Agence fixe une limite à 500 g par semaine pour les viandes hors volailles.
Comment les scientifiques de la commission EAT-Lancet justifient-ils leurs conclusions ? Ces derniers déclarent estimer que le risque de maladies chroniques est réduit et le bien-être amélioré par une alimentation caractérisée par « des sources de protéines provenant principalement de plantes, dont le soja, les légumineuses et les fruits à coque, de poisson ou de sources alternatives d’acides gras oméga-3 plusieurs fois par semaine, d’une consommation facultative modeste de volaille et d’œufs, et de faibles apports en viande rouge, a fortiori si la viande est transformée. »
Une polémique et des interrogations
Des nutritionnistes s’interrogent déjà sur les conséquences d’un tel régime, notamment en termes de couverture des besoins en vitamines et minéraux. D’ailleurs, même les experts de la commission EAT-Lancet reconnaissent qu’un régime pauvre en aliments d’origine animale pourra rendre nécessaire un enrichissement ou une supplémentation, notamment en vitamine B12.
Pour ce qui est des apports en fer biodisponible et aux risques de déficience en cas de faibles consommations de viande, ils ne sont pas évoqués pour la population globale et vite balayés chez deux populations à risque. Selon le rapport, chez l’adolescente, les supplémentations fourniraient une alternative « moins onéreuse et sans les conséquences néfastes de la consommation de viande rouge » ; chez la femme enceinte, « des régimes végétariens équilibrés pourraient assurer un développement sain du fœtus » (sous réserve de supplémentation en vitamine B12). Des recommandations qui vont donc à l’encontre des messages habituels plutôt axés sur l’intérêt d’une alimentation variée et équilibrée permettant de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels et dans lesquels les supplémentations n’ont pas lieu d’être, sauf cas particuliers.
Ainsi, à peine le rapport paru, certains scientifiques y voyaient la marque de lobbys anti-viande, pointaient du doigt les discours vegan assumés de certains experts de ladite commission et critiquaient les possibles collusions financières avec des groupes agroalimentaires du secteur végétal. Autant d’éléments qui les poussent à s’interroger sur la neutralité affichée de cette commission.
Le besoin d’une révolution agricole
Second grand volet de cette étude : la question de la durabilité et de la capacité de notre Terre à nourrir les futurs 10 milliards d’habitants de 2050. La conclusion de la commission EAT-Lancet : « Une production alimentaire durable pour environ 10 milliards de personnes ne devrait pas utiliser de terres supplémentaires, devrait protéger la biodiversité, réduire l’utilisation d’eau de consommation et gérer l’eau de manière responsable, réduire substantiellement la pollution à l’azote et au phosphore, ne générer aucune émission de dioxyde de carbone et ne causer aucune augmentation supplémentaire des émissions de méthane et de protoxyde d’azote. »
Pour y parvenir, les experts estiment que l’agriculture devra se réinventer dans ses pratiques (durabilité avec une meilleure efficacité, réduction de l’usage des terres et océans…), mais aussi réduire ses productions animales, identifiées comme le plus important levier en termes d’environnement : selon les experts, des changements des pratiques agricoles ne pourraient réduire que de 10 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050… alors que l’adoption d’un régime davantage basé sur les végétaux pourrait les abaisser de plus de 80 %.
Il est toutefois surprenant de constater que l’impact environnemental global du régime prôné par EAT-Lancet, n’a fait l’objet d’aucune évaluation. Or, consommations et productions interagissent de manière complexe, surtout à l’échelle mondiale. L’ensemble des impacts doit être considéré : autant ceux liés à la réduction de certains aliments que ceux liés à l’augmentation des autres.
Le revers de la médaille environnemental et social
Certains spécialistes regrettent également que ce rapport omette de se pencher sur l’impact d’un tel régime, qui, en réduisant drastiquement la consommation de viande, entraîne la disparition de l’élevage. Or, les conséquences d’un tel bouleversement des productions à l’échelle mondiale sont loin d’être négligeables, au regard du dernier avis scientifique de l’INRA, publié le 11 janvier 2019. Ainsi, d’un point de vue environnemental, l’INRA affirme que « certains types d’élevage, conduits de façon agro-écologique, apportent également des services environnementaux, en utilisant des surfaces en prairies impropres à la culture mais favorables à la biodiversité, au stockage du carbone, à la filtration de l’eau. Sans élevage, ces surfaces disparaîtraient et les paysages se fermeraient. » Et l’INRA d’ajouter : « D’autres types d’élevage permettent de valoriser des coproduits ou sous-produits des filières végétales qui ne sont pas consommables directement par l’homme en les transformant en produits de bonne qualité nutritionnelle ; ils permettent également de fournir des effluents pour la fertilisation des sols et/ou pour de l’énergie renouvelable, en favorisant le bouclage des cycles biogéochimiques. »
Enfin l’INRA insiste également sur les conséquences sociales et économiques d’une suppression de l’élevage : « La suppression de l’élevage dans un pays comme la France nécessiterait la reconversion de plusieurs centaines de milliers de personnes et une réforme complète du secteur agricole en plus de celle du secteur de l’élevage. » « Elle demanderait également une adaptation sociale et une adaptation culturelle de très grande ampleur. Enfin, les prairies et les activités d’élevage associées contribuent au maintien de la vie sociale dans le milieu rural et de l’emploi dans des territoires faiblement peuplés, en participant de façon importante à la qualité et à la diversité des paysages. »
Et au-delà de nos frontières ? « À l’échelle mondiale, l’élevage contribue à faire vivre 800 millions de personnes pauvres dans les pays du Sud et il a un rôle essentiel pour l’amélioration du statut des femmes. Il contribue à la sécurité alimentaire mondiale en valorisant des surfaces qui ne sont pas cultivables. La suppression de l’élevage entraînerait un accroissement de la pauvreté, une augmentation de l’insécurité alimentaire et une recrudescence de la sous-nutrition et des maladies de carences alimentaires » (voir articles « Faut-il réduire notre cosnommation de viande ? L’Inra livre des données pour comprendre » et « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? Avis scientifique de l’Inra »).
Source : EAT-Lancet.
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