Quelle place pour les produits animaux dans l’alimentation de demain ? (Article de synthèse)
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Où en est-on du débat sur la place des produits animaux dans l’alimentation de demain ? Trois experts du sujet apportent leurs regards complémentaires lors d’une table-ronde organisée dans le cadre des Journées francophones de Nutrition (JFN).
La place des produits animaux dans l’alimentation de demain ne fait pas encore consensus ; loin de là… Le sujet est complexe, les débats mêlant des connaissances scientifiques qui évoluent sans cesse et des considérations sociétales parfois d’ordre philosophique. Les Journées Francophones de nutrition (JFN), tenues à Lille du 10 au 12 novembre 2021, proposaient de faire un point à date sur le sujet au cours d’une table-ronde.
Protéines animales et alimentation durable
Premier intervenant à prendre la parole : Jean-Louis Peyraud, directeur de recherche à INRAE, avec une présentation intitulée « l’apport des protéines animales dans l’alimentation humaine en termes de durabilité ». « On reproche à l’élevage d’utiliser beaucoup de ressources, d’émettre des gaz à effet de serre (GES) et de contribuer à la déforestation via l’importation de tourteaux de soja pour l’alimentation animale. Mais la réalité est bien plus complexe que ça ! », rapporte ce spécialiste impliqué dans la réflexion sur l’avenir de l’élevage européen. Concernant le premier reproche, Jean-Louis Peyraud insiste sur la nécessité de bien différencier les ressources végétales consommables par l’homme de celles qui ne le sont pas. « On entend souvent qu’il faut 5 à 15 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines animales. Mais si on considère uniquement les protéines végétales consommables par l’Homme, on arrive plutôt à un ratio 1/1 », rapporte-t-il. Selon les filières, 50 à 95 % des aliments pour animaux ne sont, en effet, pas consommables par l’Homme : herbe des prairies permanentes, coproduits des cultures végétales… Cela est particulièrement vrai pour les ruminants, qui « digèrent d’abord de la cellulose, principal glucide produit par photosynthèse sur Terre et que nous, êtres humains, ne sommes pas capables de manger », rappelle Jean-Louis Peyraud. Quant à l’utilisation des surfaces, l’élevage produit certes moins de protéines à l’hectare que les cultures, mais seuls les ruminants permettent de valoriser certaines surfaces non cultivables, comme les prairies de montagne.
« L’élevage fait partie de la solution »
Concernant les émissions de GES dans les élevages, le spécialiste rapporte de fortes variations selon les exploitations, « preuve qu’il existe des marges de manœuvre importantes ». Les leviers peuvent concerner à la fois l’efficience du troupeau (par exemple en sélectionnant des animaux moins émetteurs, ou en changeant leurs pratiques alimentaires) et/ou la production des aliments pour le bétail (en mettant en place des pratiques agroécologiques). Réduire l’élevage ? « Ce peut être une partie de la solution, mais il ne faut pas aller trop loin dans cette voie car cela pourrait conduire à des effets adverses non intentionnels », alerte Jean-Louis Peyraud. « Remplacer les prairies en plaine par des cultures, c’est aussi réduire le stockage de carbone dans les sols et perdre en biodiversité », illustre-t-il. Quant au dernier reproche concernant la déforestation, il est vrai que l’importation de tourteaux de soja peut y contribuer. Cependant, les filières en France s’engagent à choisir des sojas non déforestant et la part du soja dans l’alimentation des bovins race à viande n’est que de 0,8 % en France, selon l’Idele. En outre, « l’élevage peut à l’inverse avoir un rôle tout à fait favorable sur la biodiversité locale : diversité des espèces cultivées en prairies, participation à la diversification de l’usage des terres ; maintien d’un habitat ouvert. Il peut aussi contribuer à la réduction de l’usage des pesticides à l’échelle d’un territoire, car on ne met pas de pesticides dans les prairies », rappelle le spécialiste. « Les liens entre élevage et environnement sont bien plus nuancés que ce qui est souvent avancé. Amélioration des pratiques, meilleure répartition sur le territoire : l’élevage doit évoluer, mais il fait indéniablement partie de la solution pour une alimentation durable », conclut-il.
Quelle proportion entre produits animaux et produits végétaux ?
Deuxième sujet abordé lors de la table-ronde : la proportion végétal/animal optimale dans un régime alimentaire durable. La végétalisation de nos assiettes – souvent abordée du seul point de vue des protéines – soulève des questions par rapport à la couverture de l’ensemble des besoins nutritionnels. « La définition de la proportion optimale de produits animaux dans le régime dépend en grande partie de la couverture des besoins vis-à-vis des autres nutriments (vitamines, minéraux et acides gras essentiels), rapporte Didier Rémond. Plus on se déplace vers le végétalisme, plus on augmente le risque de déficiences, voire de carences, en certains nutriments (vitamines, minéraux…). » En outre, l’équilibre des apports en acides aminés est d’autant plus important à respecter que les apports protéiques sont faibles.
Des messages à ajuster selon les populations
Le ratio 50/50 entre protéines animales et végétales semble une cible raisonnable, mais « attention aux populations à risque, comme les personnes âgées », alerte Didier Rémond. En France, la consommation moyenne en protéines chez les plus de 65 ans est supérieure aux recommandations internationales, mais cache en réalité de très fortes disparités. « La malnutrition protéino-énergétique touche 4 à 10 % des personnes âgées vivant à domicile, 15 à 38 % chez les personnes en institution, et même 30 à 70 % chez les personnes hospitalisées », rappelle le directeur de recherche. Donc attention aux messages pouvant entraîner une réduction des apports protéiques dans ces populations. L’élevage de ruminants : levier indispensable pour l’agriculture bio ?
La table-ronde s’est terminée avec l’intervention de Thomas Nesme, professeur d’agronomie à Bordeaux Sciences Agro, sur la place de l’élevage dans les systèmes en agriculture bio. Dans une dynamique d’augmentation des surfaces en agriculture bio, faut-il réduire l’élevage au regard de la compétition entre les usages food et feed ? Ou au contraire garder des animaux, étant donné que ces derniers fournissent des effluents riches en azote, particulièrement utiles pour soutenir le rendement des cultures dans des systèmes où les options de fertilisation sont limitées ? Pour alimenter la réflexion, Thomas Nesme rapporte les résultats d’une étude, « à voir comme une expérience de pensée », dans laquelle plusieurs scénarios (avec de 20 à 100 % d’agriculture biologique) sont comparés. Ces derniers montrent que la perte de production alimentaire liée au passage à l’agriculture bio peut être atténuée par la restructuration des élevages. « On s’attendait à ce que le modèle conduise à réduire drastiquement la production animale, mais non, les résultats montrent au contraire qu’on a besoin des animaux pour favoriser la circularité des nutriments et notamment de l’azote. » Le modèle suggère ainsi de réduire modestement (- 20 %), et non drastiquement, les effectifs d’animaux d’élevage ; d’opérer une redistribution géographique des terres agricoles pour rapprocher élevages et cultures ; et de remplacer les monogastriques par les ruminants, capables de valoriser les fourrages et les prairies permanentes.
Pour en savoir plus : Présentation disponible en replay pour les participants des JFN
Source : JFN 2021
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