Quelle politique pour une alimentation saine et durable ? Zoom sur une analyse de France Stratégie pour l’Assemblée nationale (Article d’analyse)

À la demande de l’Assemblée nationale, l’institution de conseil auprès du gouvernement France Stratégie a réalisé un bilan des politiques de l’alimentation en France en replaçant ses conclusions dans une perspective internationale. Des pistes pour une orientation du système alimentaire vers une alimentation saine et durable y sont proposées.

 

Nourrir une population qui va continuer à croître pendant plusieurs décennies dans un contexte de réchauffement climatique impactant la productivité agricole crée de nouveaux défis pour les systèmes agroalimentaires mondiaux. Dans ce contexte, chaque territoire devra tenir compte de ses spécificités pour faire évoluer ses pratiques. Des politiques publiques concourant à la fois à la qualité de l’alimentation (sanitaire, nutritionnelle …) et à sa durabilité se révèlent ainsi nécessaires. À la demande de l’Assemblée nationale, France Stratégie a réalisé une analyse des politiques alimentaires menées en France.

Des défis alimentaires mondiaux

Dans le rapport rendu en septembre 2021, l’institution fait d’abord le point sur les défis auxquels doivent faire face les systèmes alimentaires mondiaux de façon générale, et le système alimentaire français en particulier.

Au niveau mondial, l’accessibilité à l’alimentation en quantité et qualités suffisantes demeure un enjeu majeur. La faim dans le monde a cessé de diminuer et 9 % de la population reste sous-alimentée, avec de fortes disparités régionales. Si l’Europe est en capacité de fournir à sa population une alimentation en quantité suffisante, elle n’en est pas moins confrontée à la malnutrition – aussi bien en termes de déséquilibres nutritionnels que d’excédents caloriques –, en particulier pour les catégories sociales défavorisées.

À ces enjeux sanitaires nutritionnels, s’ajoutent des enjeux environnementaux. L’alimentation serait à l’origine de plus de 25 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre (GES), et cette tendance serait appelée à s’accentuer sous l’effet de la croissance démographique et de la consommation de viande dans les pays jusqu’alors peu consommateurs. Au niveau mondial, la consommation de viande serait déjà à l’origine de 62 % des émissions de GES liées à l’alimentation. Toutefois, certains modes d’élevage peuvent rendre des services à l’environnement : « Ainsi, l’élevage en plein air des ruminants valorise une matière végétale non concurrente de l’alimentation humaine et sa gestion extensive est associée au maintien de prairies permanentes constitutives d’écosystèmes spécifiques, dont le bilan environnemental est favorable tant pour ce qui concerne la séquestration de carbone que la préservation de la biodiversité. »

Dans ce contexte, une transition alimentaire vers des régimes plus végétalisés et des modes de production agro-écologiques est considérée comme nécessaire.

Les problématiques spécifiques à la France

Au niveau national, la France tire son épingle du jeu sur certains aspects, avec des prévalences d’obésité et de surpoids plus faibles que dans de nombreux pays développés. Toutefois, si les spécificités du modèle alimentaire français (3 repas par jour, dimensions sociale et culturelle des repas…) perdurent, il n’en reste pas moins que des évolutions sont en cours, avec des augmentations des apports énergétiques et des consommations d’aliments ultra-transformés concomitantes à une augmentation de la sédentarité.

De plus, le système alimentaire français est confronté à de nombreux défis : l’excédent agricole de la France s’érode, avec 20 % de l’alimentation désormais importée. Largement tiré par les exportations d’alcool et de céréales, cet excédent ne repose pas sur d’autres produits pourtant essentiels à la transition alimentaire, comme les fruits et légumes qui connaissent un déficit. Quant au bio produit en France, il ne permet de couvrir que 67 % de la demande nationale. Du côté de la nutrition animale, les protéines végétales nécessaires à l’élevage sont importées à hauteur de 40 %. Comme le résume le rapport, « ces importations croissantes révèlent donc pour partie le manque de compétitivité de pans entiers de l’agriculture française, ainsi que l’absence d’autonomie de certaines de nos filières ».

L’avenir de l’agriculture en question

Une analyse d’autant plus inquiétante que le futur de l’agriculture française pose lui aussi question, avec une diminution perpétuelle du nombre d’actifs travaillant dans le secteur agricole, des revenus souvent modestes (malgré des différences entre filières) et des conditions de travail difficiles nuisant à l’attractivité du secteur, ainsi qu’une iniquité dans la répartition de la valeur ajoutée des produits d’origine agricole entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs.

Par ailleurs, France Stratégie pointe les impacts environnementaux liés à la production alimentaire française. La production primaire d’aliments serait ainsi responsable de 19 % des émissions de GES en France (oxyde d’azote N2O issu des fertilisants azotés, méthane issu des productions animales), auxquels s’ajoutent les 3,3 % liés au pertes (au champ et dans les usines de transformation) et gaspillage (par les consommateurs). Et à ces émissions de GES s’ajoutent les problématiques liées à l’usage de l’eau, la réduction de la biodiversité, la pollution des sols, de l’eau et de l’air, mais aussi l’apparition de nouveaux risques sanitaires, tels que la présence de résidus de produits chimiques dans les aliments, l’exposition des riverains aux pesticides ou encore la dissémination de l’antibiorésistance.

France Stratégie résume ainsi la situation actuelle du système alimentaire français : « La France, dont la production agricole et agroalimentaire est désormais largement déficitaire pour de nombreuses filières, devra accélérer sa transition vers l’agroécologie pour réduire les pressions exercées par l’agriculture sur l’environnement tout en lui permettant de reconquérir son autonomie alimentaire. »

L’évolution des politiques alimentaires françaises

Après avoir dressé le constat des problématiques sous-jacentes au système alimentaire   actuel, France Stratégie fait le point sur les politiques françaises en matière d’alimentation.

Celles-ci ont d’abord répondu à des préoccupations d’hygiène, dès le début du 20e siècle. La période de l’après-guerre a ensuite été marquée par la naissance de la politique agricole commune (PAC), visant à faire « retrouver leur autosuffisance alimentaire » aux pays européens et accompagnant le développement du secteur agro-industriel.

Si les politiques alimentaires du 20e siècle ont majoritairement cherché à nourrir avec des aliments sûrs d’un point de vue sanitaire, le début des années 2000 a vu naître deux grands programmes nationaux tournés vers de nouveaux objectifs : le Programme national nutrition santé (PNNS) en 2001 et le Programme national pour l’alimentation (PNA) en 2010.

  • Le PNNS est un plan de santé publique « traduisant la prise de conscience par les pouvoirs publics du rôle fondamental de l’alimentation et de la sédentarité dans l’émergence des maladies non transmissibles». Il a évolué au cours du temps, avec un décentrage progressif de sa politique, d’abord focalisée sur les questions individuelles, puis populationnelles, puis sur l’environnement alimentaire qui influe sur les choix alimentaires.
  • Le PNA a lui aussi évolué depuis sa création. À vocation d’abord interministérielle, il intègre dans un premier temps des mesures nutritionnelles mais se recentre petit à petit sur des actions essentiellement agro-alimentaires. En 2014, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014), qui définit la politique de l’alimentation comme une politique permettant « d’assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique», précise que ces objectifs doivent être mis en œuvre via le PNA.

 

Des projets alimentaires territoriaux (PAT) pour répondre aux objectifs du PNA

Dans le prolongement de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, les projets alimentaires territoriaux (PAT) visent à « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs et à développer l’agriculture sur les territoires et la qualité de l’alimentation », avec pour finalité de répondre aux objectifs du PNA. Un peu plus de 200 PAT sont recensés aujourd’hui sur le territoire, recouvrant des initiatives très hétérogènes (autour des circuits courts, de l’éducation alimentaire…) mais dont la portée s’avère difficile à évaluer. Néanmoins, « ces initiatives ont en commun la recherche de sensibilisation et d’affichage d’une mobilisation collective d’acteurs locaux autour des questions d’alimentation, ce qui constitue, en soi, un changement de paradigme », estime France Stratégie.

Deux exemples de PAT autour de l’élevage

La viande de Brière et la valorisation des zones de marais
Un regroupement d’éleveurs bovins est à l’origine de ce projet qui a consisté à créer une filière locale de viande bovine sur le territoire du Parc naturel régional de Brière. Les éleveurs engagés dans la démarche s’engagent à respecter une charte de protection des sols sensibles des marais. Cette petite filière permet aux agriculteurs engagés de bénéficier de prix supérieurs de 0,50 à 0,60 €/kg par rapport aux filières traditionnelles.
La filière Fleur d’Aubrac
La filière a été créée en 1991 afin de maintenir les boucheries artisanales du territoire qui perdaient d’importantes parts de marché face à la distribution. Le cahier des charges exige que la génisse soit élevée au lait de sa mère pendant les 6 premiers mois après sa naissance ; l’élevage doit être extensif et spécifique d’une zone de montagne (l’Aubrac) ; les fourrages constituent la base du régime alimentaire. Cette production repose sur le maintien de pratiques d’élevages basées sur l’herbe bénéfiques pour l’environnement. La production représente un débouché pour 160 éleveurs du territoire qui en retirent un différentiel de prix important par rapport à un élevage conventionnel.

Autour de ces deux grands plans nationaux incarnant la politique de l’alimentation en France, des politiques connexes participent à modeler notre système alimentaire, dont la PAC et le plan écophyto sur le volet agricole mais aussi des politiques de cohésion sociale (ex : tarification sociale des cantines, aide alimentaires) et éducatives.

Vers une stratégie nationale intégrant l’alimentation, la nutrition et le climat

Enfin, les objectifs de la politique de l’alimentation française pourraient être amenés à évoluer dans un futur proche, comme en témoigne la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets adoptée par le Parlement le 13 juillet 2021, prévoyant la création d’une stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat à compter de 2023.

Cette stratégie déterminera « les orientations de la politique de l’alimentation durable, moins émettrice de gaz à effet de serre, respectueuse de la santé humaine, davantage protectrice de la biodiversité, favorisant la résilience des systèmes agricoles et des systèmes alimentaires territoriaux, et garante de la souveraineté alimentaire, […] ainsi que les orientations de la politique de la nutrition, en s’appuyant sur le programme national pour l’alimentation, sur le programme national relatif à la nutrition et à la santé ». Une stratégie qui traduit la volonté du législateur de mieux intégrer les enjeux nutritionnels et d’amélioration de l’offre alimentaire (aujourd’hui portés par deux plans, au sein de deux ministères différents) et d’y associer les objectifs de préservation de l’environnement, notamment du climat.

Les leviers pour une nouvelle politique alimentaire

Pour écrire cette nouvelle politique de l’alimentation tournée vers la construction d’un système alimentaire sain et durable, France Stratégie établit une liste de recommandations portant sur l’accompagnement des consommateurs et sur l’amélioration de la production nationale. Education alimentaire, affichage nutritionnel et environnemental, et fiscalité sont parmi les leviers évoqués et débattus pour orienter les comportements des consommateurs.

Pour ce qui concerne l’affichage environnemental, le rapport relève les manques de la méthode utilisée pour mesurer l’impact environnemental (ACV, analyse du cycle de vie), qui « ne rend pas encore suffisamment compte, par manque de méthodes et de données, des dimensions biodiversité, stockage et déstockage de carbone ou pesticides. Or ces externalités sont importantes à mesurer pour les secteurs de l’agriculture biologique et des élevages herbagers notamment ». Au niveau fiscal, une éventuelle modulation de la TVA applicable aux aliments en fonction des émissions de GES ou des bénéfices nutritionnels, comme récemment discuté au Parlement européen, est envisagée.

Quant à l’amélioration de la production nationale, elle passerait, pour France Stratégie, par le renforcement des leviers économiques incitant à une transition vers l’agroécologie, par exemple en œuvrant à un rééquilibrage de la PAC (actuellement « exclusivement dédiée à la production » d’après le rapport) vers des mesures plus favorables à l’environnement (l’application d’un bonus-malus carbone aux élevages est par exemple évoquée). Le soutien et le meilleur encadrement des dynamiques locales telles que celles issues des PAT, ainsi que la meilleure répartition de la valeur ajoutée issue des produits agricoles, font également partie des leviers proposés.

 

Pour en savoir plus : Pour une alimentation saine et durable – Rapport pour l’Assemblée nationale.

 

Source : France Stratégie.

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