Quels équilibres végétal/animal en France métropolitaine, aux échelles nationale et « petite région agricole » ?
L’agroécologie nous incite, tant à l’échelle de la ferme qu’à l’échelle du territoire, à ajuster les systèmes de production au contexte local et à boucler les cycles de matières pour améliorer l’autonomie et la résilience des systèmes, tout en limitant les déchets. Les synergies entre production animales et végétales ont été mises de côté avec la spécialisation de l’agriculture. À ce jour, qu’en est-il des équilibres entre productions animales et végétales aux échelles nationales et des petites régions agricoles françaises ?
Introduction
En France, la spécialisation régionale de l’agriculture s’est accélérée durant la deuxième moitié du XX° siècle, avec la diffusion de la moto-mécanisation, des engrais chimiques et des transports à bas coût (Jussiau et al., 1999). Cette dynamique a causé une dissociation spatiale entre productions animales et végétales (Domingues et al., 2018), et avec elle la rupture de l’équilibre entre les ressources localement disponibles et le niveau de production agricole, en particulier en ce qui concerne l’élevage. Un corollaire est la diminution de la résilience des systèmes d’élevage face aux risques économiques (Peyraud et al., 2014). Depuis le début du XXI° siècle, avec la montée de l’agro-écologie, cette dissociation végétal/animal est remise en question. Les systèmes associant cultures et élevages sont alors pressentis comme des modèles d’agriculture durable (Gliessman, 2006 ; Soussana et Lemaire, 2014) permettant à la fois de valoriser une biomasse végétale non utilisable par l’homme, de maintenir la fertilité des sols cultivés en réduisant les intrants, et d’augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources localement disponibles (Bonaudo et al., 2014 ; Ryschawy et al., 2017). Aujourd’hui, 64 % de la Surface Agricole Utile (SAU) française est destinée à l’alimentation animale (12,7 M ha de prairies et parcours, 1,7 M ha de fourrages issus de plantes annuelles et 4,2 M ha de céréales, oléagineux et protéagineux) (Agreste, 2013 [Agreste synthèses 2013/208]), ce qui est considérable. Ces productions végétales ne répondent que partiellement à la demande. Ainsi, en 2010, le niveau d’autosuffisance protéique de l’alimentation animale en France était de l’ordre de 75 %, avec une moyenne à 57 % dans des régions d’élevage intensif du Grand-Ouest, et à 85 % dans des régions d’élevage extensif du Massif Central (Domingues, 2017).
L’équilibre local entre productions végétales et productions animales peut être recherché à des fins d’entretien de la fertilité des sols, de limitation des pollutions causées par l’épandage de trop grandes quantités de déjections ou encore d’autonomie d’un système. Sous l’angle de l’alimentation animale, cet équilibre est souvent évalué à l’échelle de la ferme via des indicateurs d’autonomie alimentaire. Cette dernière est calculée en estimant les consommations d’aliments sur la ferme et en déduisant les aliments achetés. Différents indicateurs d’autonomie peuvent être calculés en considérant tous les types d’aliments ou simplement les fourrages ou les concentrés, et en exprimant les calculs en matière sèche, en énergie ou en protéines (voir par ex. Rouillé et al., 2014). Dès que l’on dépasse l’échelle de la ferme, le calcul de l’autonomie devient très compliqué car il est difficile d’estimer ce qui est issu du système et ce qui est importé. Par exemple, au niveau département ou infra-département, quel statut donner à des végétaux produits localement, transformés hors du territoire, et qui y reviennent sous forme d’aliment du bétail ? L’enjeu agro-écologique est de combiner des formes d’élevage et des effectifs animaux permettant de tirer le meilleur parti des ressources localement disponibles (végétations spontanées, cultures fourragères ou non, sous-produits agricoles et co-produits agroindustriels), tout en assurant le renouvellement de ces ressources sur le long terme. On peut alors s’intéresser à la capacité d’un territoire à produire les ressources végétales qui (transformées ou non) permettront d’assurer l’alimentation du bétail localement présent.
Cet article capitalise sur les méthodes et données produites dans le cadre de l’étude « EFESE1-Ecosystèmes Agricoles » (Therond et al., 2017). Celle-ci avait pour objectifs de définir un cadre conceptuel pour l’évaluation des services écosystémiques, de proposer une méthodologie d’évaluation de ces services qui puisse être intégrée à un système d’information pérenne, et de réaliser des calculs pour établir l’état actuel de ces services en France. Le travail présenté ci-après aborde, à l’échelle de la France métropolitaine et des petites régions agricoles (PRA), l’équilibre végétal / animal du point de vue de l’alimentation animale. Il a contribué à documenter le service « production de biens animaux » (incluant viandes, lait, œufs, animaux vifs) dans l’étude. Le niveau PRA a été choisi pour une question de disponibilité des données pour l’évaluation des différents services évalués et pour une question de pertinence de ce zonage d’un point de vue pédoclimatique et socioéconomique. Ainsi, nous estimons la capacité des PRA à produire les différentes catégories de végétaux nécessaires pour couvrir la consommation par la population d’animaux d’élevage présente sur leur territoire. Ceci demande de prendre en compte au mieux la diversité des ressources végétales disponibles pour l’alimentation des animaux, ainsi que la diversité des rations alimentaires selon les espèces et les systèmes d’élevage localement majoritaires. En termes de résultats, on cherche à quantifier l’équilibre végétal/animal aux échelles nationales et des PRA, en identifiant les composantes des équilibres/déséquilibres observés, et à établir une cartographie permettant de discuter des complémentarités entre territoires proches.
Le présent article décrit la démarche méthodologique suivie pour combiner les différentes données et références disponibles, ainsi que les résultats obtenus aux échelles nationale et des PRA. Les motivations et limites des choix méthodologiques, les implications des équilibres et déséquilibres identifiés ainsi que les perspectives ouvertes par ce travail sont discutées.
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