Rapport du Conseil Scientifique sur l’affichage environnemental dans le secteur alimentaire : d’importants travaux scientifiques restent à mener (Article d’analyse)
Face aux grands enjeux environnementaux et aux limites planétaires, vers quel modèle de production agricole aller ? Vers quelles consommations alimentaires ? L’affichage environnemental est proposé comme une réponse à ces questions. Mais quelles données, quelles méthodes, quel format d’affichage proposer aux consommateurs ? Le Conseil Scientifique publie la synthèse de ses travaux dans le cadre de l’expérimentation lancée par le ministère de la Transition Écologique et l’Ademe, en vue de concevoir et mettre en place un système d’affichage environnemental des produits alimentaires. Cependant, en l’état actuel, la méthodologie envisagée reposant principalement sur l’ACV comporte encore de nombreuses lacunes et nécessite d’importants travaux complémentaires pour prendre en compte l’ensemble des externalités positives de l’élevage herbivore et proposer un étiquetage en cohérence avec les politiques publiques françaises et européennes.
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi AGEC) lançait en 2020, une expérimentation de 18 mois visant à proposer un dispositif d’affichage environnemental volontaire. Cette information doit permettre, d’après les orientations données par le ministère de la Transition Écologique et solidaire, de guider les consommateurs à la fois vers des aliments issus de modes de production plus favorables à l’environnement, mais aussi vers une évolution des quantités consommées et donc du régime alimentaire. Dans son analyse basée sur la littérature scientifique disponible et des réflexions menées dans le cadre de groupes de travail et de projets issus de l’expérimentation, le conseil scientifique balaye les différentes questions qui restent à résoudre.
L’ACV, un socle imposé bien que partiel
Le conseil scientifique considère l’analyse de cycle de vie (ACV), et en particulier le cadre de référence européen Product Environnemental Footprint (PEF) et son score unique associé l’Environmental Footprint (EF3), comme un socle de base pour établir des informations environnementales faisant consensus au niveau scientifique et international. Le rapport souligne que tous les projets d’expérimentation rendus se basaient d’ailleurs sur l’ACV. Et pour cause : l’article 15 de la loi l’imposait ! Néanmoins, la mise en œuvre d’une analyse par produit s’avère délicate et coûteuse du fait des données nombreuses à collecter. Ainsi, le conseil scientifique recommande l’utilisation conjointe de données spécifiques privées et de données génériques publiques, fournies par la base de données Agribalyse de l’Ademe. Cependant, cette dernière doit évoluer pour être reconnue des acteurs et mieux rendre compte des conditions de production, de transformation et de distribution des produits (voir article « Agribalyse 3.0, un nouveau regard (tronqué) sur nos assiettes »). Par ailleurs, le cadre ACV du PEF souffre de limites liées à l’état des connaissances et des méthodes, particulièrement pour rendre compte de certains impacts environnementaux des pratiques et systèmes de production agroécologiques (voir article « Alimentation durable, affichage environnemental et produits de l’élevage : un enjeu de méthodes »).
De nombreuses questions non résolues
Le rapport détaille ainsi les nombreux sujets de débats et les nécessaires travaux de recherche à mener. Les ACV actuelles ont tendance à « favoriser les systèmes agricoles intensifs utilisant beaucoup d’intrants et à donner une image inexacte des systèmes agroécologiques moins intensifs tels que l’agriculture biologique ». Ainsi, la prise en compte des impacts des pratiques agroécologiques et sous certification est citée comme un enjeu important de l’évaluation et de l’affichage environnemental. En particulier, devraient être intégrés aux méthodes : la prise en compte du stockage de carbone, les impacts des pratiques agricoles sur la biodiversité et les impacts de toxicité liés à l’usage de certains intrants. Autre sujet : la répartition des impacts environnementaux entre les produits et les coproduits (par exemple, la viande, les os, graisses, peaux…) est faite le plus souvent selon la valeur économique des produits parce que c’est cette dernière « qui est à l’origine de la demande et qui est donc la cause du processus de production » mais ne tient pas compte de la valeur physique des coproduits (énergétique par exemple), pourtant préconisé par la norme ISO qui encadre l’ACV. Le conseil scientifique souligne également que l’unité à laquelle sont rapportés les impacts environnementaux (« unité fonctionnelle ») devrait refléter la densité nutritionnelle des aliments. Cependant, faute de méthode opérationnelle et pour assurer la comparabilité des aliments entre eux, l’unité massique, bien que limitée elle aussi, reste l’unité de référence.
Traiter le climat et la biodiversité conjointement
Pendant longtemps, les propositions d’affichage et de notation des produits ont porté exclusivement sur l’enjeu climatique. D’ailleurs, l’EF3, score unique proposé par la méthode européenne et intégrant différents enjeux environnementaux, donne un poids prépondérant au climat (22 %). Or, le conseil scientifique le rappelle, arguments à l’appui : l’érosion de la biodiversité fait aussi partie des sujets prioritaires pour le système alimentaire (travaux du GIEC, le Millenium Assessment, pour la biodiversité ou encore les publications sur les « limites planétaires »). Sont cités également l’épuisement des ressources en eau douce et l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques et terrestres par les pertes d’azote et de phosphore provenant de l’application des fertilisants. Or, « dans le domaine agricole et alimentaire, un même objectif de réduction des émissions de GES peut passer par des voies d’action diverses qui, selon les cas, auront des effets plus ou moins favorables en matière de biodiversité ». Ainsi, « des modes d’élevage de production plus extensifs, reposant sur des durées de vie plus longues des animaux, peuvent se traduire par des émissions de GES plus élevées par kg de produit », entrant en contradiction avec d’autres enjeux environnementaux et de bien-être animal (Voir Encadré). D’où l’importance de traiter simultanément la question du climat et de la biodiversité et d’intégrer dans l’évaluation l’ensemble des enjeux cités. Priorité est donnée à l’ajout d’indicateurs sur les impacts des pratiques et systèmes de production sur le stockage du carbone dans les sols, les impacts des pratiques agricoles sur la biodiversité à la parcelle, la caractérisation de certains impacts de toxicité humaine et d’écotoxicité.
Un choix de société
Le rapport rappelle clairement l’objectif de l’affichage environnemental : celui de faire changer les comportements d’achat vers des produits plus vertueux mais aussi faire évoluer les régimes alimentaires. Il préconise pour cela un format d’affichage prescriptif, synthétique et coloriel, transversal sur l’ensemble de l’alimentation, comme une échelle à cinq niveaux. Justifier d’une méthode reconnue et complète derrière ces étiquettes représente donc un enjeu de société pour encourager la transition vers des systèmes agricoles plus durables. Le conseil scientifique évoque deux visions agricoles qui s’opposent et qui sont détaillées dans un rapport récent de l’IDDRI : une vision agroécologique portée par le Pacte verte européen comme par la France et une vision « intensification durable » basée sur une recherche de productivité (voir article « Affichage environnemental : quelle vision politique derrière les outils ? »). « La tension entre les deux visions est claire dans le cas de l’élevage. D’un côté, des systèmes de production de viande intensifs peuvent générer moins d’émissions de GES par kg de produit que des systèmes bovins extensifs. D’un autre côté, les systèmes extensifs utilisant moins d’intrants et des prairies permanentes pour l’alimentation animale peuvent s’avérer plus favorables en matière de préservation de la biodiversité », constate ainsi le conseil scientifique. Le choix final de la méthode devra donc être guidé par des choix politiques, d’autant qu’aucune méthode n’est actuellement apte à rendre compte des pratiques agroécologiques. Il semble donc évident que d’importants travaux méthodologiques restent à mener avant d’envisager tout affichage environnemental sur les produits alimentaires.
Cas des feedlots bovins et évolution de méthode (avis d’INTERBEV)
Dans une tribune du 14 décembre 2021, 137 parlementaires assénaient une critique à l’encontre de l’affichage environnemental en cours d’évaluation : les impacts environnementaux calculés selon la méthode européenne PEF (score unique EF3) et rapportés au kilogramme favoriseraient les modes de production les plus intensifs et permettraient notamment aux systèmes feedlots (engraissement intensif de bovin sur terre battue avec une alimentation principalement céréalières tels qu’on peut en voir sur le continent américain) d’avoir de meilleurs résultats environnementaux que les systèmes de production bovin allaitants français basés à 80 % sur l’herbe. Un paradoxe qui s’explique en partie par le fait que l’EF3 proposé dans Agribalyse accorde un poids prépondérant à l’impact climatique (22 %) et n’intègre pas la biodiversité. Le rapport du conseil scientifique conteste cette critique au sujet de l’évaluation des modes d’élevage.
Le rapport produit diverses études montrant que les systèmes feedlots ressortent en moyenne 18 % plus impactants que les systèmes de production herbagers français. Dans les faits, cela varie selon les études présentées. Dans le meilleur des cas présentés par le conseil scientifique, le système industriel est pénalisé avec un score EF3 de 34 % supérieur à un système extensif herbager. A l’autre extrême, une étude chinoise montre un résultat feedlot de 17% moins impactant que le cas extensif herbager du pays. Ces données méritent d’être approfondies pour savoir quel type d’animal, quel type d’alimentation, quel périmètre et quelles pondérations ont été intégrés dans chaque étude. Néanmoins, ces deux types de systèmes diamétralement opposés, en termes de lien au sol/surfaces en herbe, de maintien de la biodiversité et de la qualité de l’eau, ne devraient en aucun cas se retrouver notés dans la même catégorie (E en l’occurrence dans les échelles testées actuellement, basées sur l’ACV). Leurs résultats devraient être clairement contrastés. Comme le souligne le rapport du conseil scientifique, l’expérimentation d’INTERBEV montre que l’information apportée au consommateur devrait permettre de différencier clairement ces modes d’élevage. Or, seule l’intégration d’un indicateur de la biodiversité comme celui proposé par Knudsen et al. (2017) et la modification de la pondération des enjeux entre eux (mettre le climat et la biodiversité à poids égal) permettent d’aller vers des résultats plus contrastés entre ces deux systèmes. INTERBEV maintient donc que l’ACV telle qu’utilisée actuellement, selon la méthode européenne PEF, défavorise grandement les systèmes herbagers – systèmes par ailleurs soutenus par les politiques publiques – et envoie un message erroné aux consommateurs. Deux questions fondamentales restent ainsi à traiter avant tout choix de méthode : celle de l’intégration de la biodiversité et des externalités positives et celle de de la pondération des enjeux entre eux.
Pour en savoir plus : Affichage environnemental dans le secteur alimentaire : expérimentation 2020/2021
Source : Ademe
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