(Re)définir des zones agricoles : une étude exploratoire du ministère de l’Agriculture (Article d’analyse)

Réalisée à la demande du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, une étude a permis de mettre au point un système de zonage rendant compte du potentiel agro-environnemental des territoires agricoles. Les résultats de cette évaluation montrent que l’herbe et les prairies, ainsi que les infrastructures agro-écologiques et la diversité des cultures liée aux systèmes d’élevage herbivores, figurent parmi les critères positifs clés pour l’environnement. Décryptage.

Alors que les politiques agricoles et environnementales en faveur de la transition agro-écologique se multiplient, les territoires visés par chacune de ces politiques diffèrent, conduisant à une multiplication plus ou moins cohérente des zonages agricoles. Ces zonages peuvent par exemple être établis en vue de caractériser les équilibres et déséquilibres agro-environnementaux dans une région, ou bien servir de référentiel pour le pilotage et le déploiement des politiques. Cet empilement de zonages peut donner lieu à des politiques peu coordonnées, voire contradictoires, à l’échelle des territoires et des exploitations agricoles. De plus, en France, les dernières démarches de caractérisation des régions agricoles en vue d’un ciblage des politiques publiques – qui ont abouti à la délimitation des « Petites Régions Agricoles » (PRA) – remontent aux années 1940-1950, justifiant d’autant plus leur actualisation.

Construire un zonage reflétant le potentiel agro-environnemental des régions agricoles

Dans ce contexte, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a commandé une étude visant à construire un zonage agricole « multi-enjeux » (ZAME). Réalisée par le cabinet Épices, en collaboration avec l’Observatoire du développement rural (ODR-Inrae), elle visait à établir un nouveau zonage identifiant des territoires homogènes à partir d’indicateurs reflétant leur potentiel agro-environnemental. Le rapport d’étude remis au Ministère a fait l’objet d’une analyse par son Centre d’études et de prospective (CEP).

Le potentiel agro-environnemental : une notion à définir…

Afin de parvenir au zonage demandé, l’étude s’est d’abord attelée à définir la notion de potentiel agro-environnemental. Comme le résume l’analyse du CEP, ce potentiel repose d’abord sur les prédispositions naturelles d’un territoire : « Dans l’absolu, tout territoire est susceptible d’accueillir des systèmes agro-écologiques, et dispose donc d’un potentiel agro-environnemental important. Pour autant, les caractéristiques physiques et les contraintes naturelles conditionnent la capacité de ce territoire à accueillir de tels systèmes. Par exemple, les régions à la topographie accidentée et très découpées par les cours d’eau sont davantage prédisposées que d’autres à accueillir des infrastructures paysagères (haies, bandes enherbées), composantes essentielles des systèmes agro-écologiques. »

S’appuyant sur l’analyse des démarches historiques en matière de zonage agricole[1], le rapport conclut que le potentiel agro-environnemental d’un territoire ne peut toutefois pas se résumer à ses prédispositions naturelles et doit aussi intégrer les activités anthropiques mises en place dans les territoires, en lien avec l’histoire agraire locale : choix des systèmes de production, taille des exploitations présentes, diversité des assolements et durée des rotations, etc. En d’autres termes, le zonage devrait être fondé non pas sur les seules prédispositions géomorphologiques, climatiques et pédologiques d’un territoire, mais sur « la réalité constatée des systèmes de culture et des exploitations agricoles, qui agrègent de facto tous ces facteurs environnementaux et socio-économiques ».

Allant plus loin que les démarches précédentes, l’étude intègre également une préoccupation récente à la notion de potentiel agro-environnemental : la capacité du milieu à supporter les pressions engendrées par les pratiques agricoles (degré de vulnérabilité et de résilience).

…et des indicateurs à identifier

Après avoir précisé la notion de potentiel agro-environnemental, l’étude a identifié trois familles d’indicateurs permettant d’en rendre compte. La première d’entre elles renvoie aux prédispositions naturelles du milieu à accueillir des systèmes agro-écologiques. Elle inclut ainsi des indicateurs sur la présence de zones tampons et d’éléments figurés (cours d’eau, haies…), de milieux remarquables (zones Natura 2000 ou Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF)), ou encore de systèmes herbagers (prairies permanentes…). La seconde famille d’indicateurs porte sur la diversité et l’autonomie des systèmes agricoles. Parmi eux, on peut par exemple citer la diversité historique des cultures, (telle qu’enregistrée sur le territoire lors du recensement agricole de 1988). Quant à la troisième famille d’indicateurs, elle permet de refléter la vulnérabilité intrinsèque aux produits phytosanitaires et aux pollutions azotées.

686 zones agricoles multi-enjeux

L’étape suivante a consisté en l’élaboration du zonage à proprement parler, c’est-à-dire à « partitionner un espace en sous-espaces, en « zones » constituées par un ensemble de lieux contigus et ayant des caractères similaires, pour former des aires statistiquement homogènes ». À partir des indicateurs préalablement identifiés[2] et en s’appuyant sur des techniques de regroupements statistiques (analyse en composantes principales, classification hiérarchique ascendante, nuées dynamiques…), l’exercice a abouti à un zonage comprenant 686 zones pour la France métropolitaine, allant de 3 642 hectares (ha) pour la plus petite à 677 974 ha pour la plus grande, la moyenne étant de 80 000 ha.

Quels écarts entre l’état actuel et le potentiel agro-environnemental des territoires ?

Le zonage ainsi obtenu a permis de cartographier les différents indicateurs du potentiel agro-environnemental pour chacune des zones identifiées. Mais surtout, il a été utilisé dans l’étude pour mesurer les décalages entre l’état actuel des territoires et leur potentiel agro-environnemental. Structures paysagères, profil herbager des territoires, diversité culturale ou encore vulnérabilité aux polluants agricoles ont donc fait l’objet d’analyses successives. Objectif : déterminer les territoires présentant un déficit vis-à-vis de ces critères par rapport à leur potentiel, et ceux présentant au contraire un excédent. On apprend ainsi que les zones de l’Est de la France et de la vallée de la Garonne sont caractérisées par une moindre densité en zones tampons et éléments paysagers (haies…) qu’attendue, alors que l’on observe l’inverse dans d’autres zones (Contentin, Dordogne…) où l’histoire agraire a contribué à façonner un paysage bocager (voir Figure). La prise en compte simultanée de plusieurs indicateurs laisse apparaître des régions particulièrement « sinistrées », cumulant des déficits par rapport à leur potentiel agro-environnemental. C’est notamment le cas de la vallée de la Garonne, qui est à la fois marquée par un déficit de prairies permanentes, d’éléments paysagers, un faible potentiel de lutte biologique sur des zones sensibles aux pesticides, une baisse de diversité culturale et un déficit de carbone dans les sols.

Un outil d’appui aux politiques publiques

Ainsi, cette étude a permis de préciser la notion de potentiel agro-environnemental et de démontrer la faisabilité d’un système de zonage agricole multi-enjeux. Si des améliorations et adaptations méthodologiques restent nécessaires, un tel outil ouvre de riches perspectives en matière d’orientation des politiques publiques, en permettant de cibler prioritairement les territoires présentant les plus grands décalages vis-à-vis de leur potentiel théorique. Les résultats pourraient aussi aider à la redéfinition de certaines zonages agricoles comme les PRA, ou encore ceux concernés par l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN).

Source : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

 

[1] Louault F. La délimitation des régions agricoles. L’exemple de l’Indre-et-Loire . In: Norois, n°115, Juillet-Septembre 1982. pp. 345-364.

[2] Si 16 indicateurs du potentiel agro-environnemental des territoires ont été initialement identifiés, seulement 10 ont été retenus in fine pour la construction du zonage multi-enjeux, compte tenu de contraintes méthodologiques (ex : indicateurs indisponibles dans certaines régions…).