Tenir compte des limites planétaires pour caractériser un régime sain et durable (Article d’analyse)

Selon deux récentes études menées en Australie et publiées dans Nutrients, l’impact environnemental des régimes alimentaires repose en grande partie sur la consommation excessive d’aliments dits « non essentiels » (de faible densité nutritionnelle ; trop gras, trop sucrés, trop salés ; alcool ; etc.), loin devant les aliments « de base » dont la viande rouge non transformée. Et si un rééquilibrage nutritionnel de notre alimentation permettait d’améliorer notre santé et celle de la planète sans condamner de manière simpliste l’ensemble des aliments issus de l’élevage de ruminants ?

Manger 5 fruits et légumes par jour, éviter les aliments gras salés et sucrés… Aux traditionnelles recommandations nutritionnelles s’ajoutent dorénavant des incitations à choisir des aliments respectueux de l’environnement. Dans un contexte de croissance démographique et de pression accrue sur les terres cultivables et les ressources en eau, satisfaire les besoins nutritionnels de la population mondiale s’apparente à un véritable défi. Bonne nouvelle cependant : des chercheurs australiens suggèrent qu’il est possible de diminuer l’empreinte environnementale de notre alimentation, à condition de limiter la consommation de produits dits « non essentiels » et même néfastes pour notre santé (voir Encadré).

Une planète aux ressources limitées

Développé en 2009 par une équipe de chercheurs internationaux menée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre en Suède, le concept de limites planétaires conditionne le futur et la prospérité de l’humanité au respect de certains seuils clés pour la planète. Selon ce concept, l’occupation des terres et l’utilisation de l’eau douce constituent deux limites planétaires en lien direct avec les systèmes alimentaires.  Ainsi, malgré la croissance des besoins alimentaires de l’humanité, il n’est pas envisageable d’augmenter démesurément la surface des terres agricoles au détriment des zones de biodiversité supérieure (forêts, prairies), ou de laisser exploser l’empreinte hydrique des systèmes alimentaires qui consomment déjà 70 % de l’eau douce mondiale.

Selon les scientifiques, les terres cultivées ne devraient pas occuper plus de 15 % de la surface terrestre libre de glace, soit 2 milliards d’hectares environ, ce qui représente 7 m²/pers./j pour la population mondiale actuelle (7,8 milliards d’individus). Un chiffre qui diminuerait à environ 6 m²/pers./j en cas de stabilisation de la population mondiale autour de 9 milliards d’êtres humains. En ce qui concerne les ressources hydriques dédiées à l’alimentation, les limites planétaires ont été estimées à 695 l/pers./j actuellement, soit 603 l/pers./j pour une population de 9 milliards.

Dans deux études publiées en 2019, des chercheurs australiens ont évalué différents régimes alimentaires en tenant compte de ces trois critères : qualité nutritionnelle, utilisation des ressources en eau (empreinte hydrique) et utilisation des terres arables (qualifiée ici d’empreinte agraire ; cropland foodprint). Objectif : mettre en lumière les comportements alimentaires garantissant un régime équilibré et respectueux des limites planétaires.

Quantifier les impacts de nos choix alimentaires

Les quelque 9 000 participants inclus dans ces études ont dû décrire précisément la composition de leur alimentation quotidienne habituelle. Les chercheurs ont ensuite calculé puis comparé les scores nutritionnels, hydrique et agraire de ces différents régimes.

Les empreintes environnementales des aliments ont été calculées via des analyses du cycle de vie (ACV), mais en y intégrant des paramètres habituellement négligés, comme l’hétérogénéité de productivité naturelle des terres agricoles pour l’empreinte agraire[1] et la variabilité de disponibilité des ressources en eau dans les zones de production agricole pour l’empreinte hydrique.

L’empreinte agraire moyenne des régimes alimentaires étudiés a ainsi été évaluée à 7,1 m²/pers./j, soit un chiffre très légèrement supérieur à la limite planétaire actuelle, tandis que l’empreinte hydrique moyenne s’élevait à 433 l/pers./j (en deçà de la limite planétaire correspondante).

Cependant, comme le souligne Bradley Ridoutt, l’auteur principal de ces études, ces moyennes masquent des disparités majeures : de 4,2 à 8,0 m²/pers./j et de 207 l/pers./j à 573 l/pers./j respectivement pour les empreintes agraires et hydriques. Et de distinguer des régimes alimentaires sains ayant peu d’impact environnemental et des régimes néfastes exerçant une forte pression sur l’environnement.

Limiter la consommation d’aliments « non essentiels »

Comment expliquer les disparités entre les différents régimes étudiés ? Les résultats de ces recherches sont sans équivoque : l’impact écologique des régimes alimentaires dépend fortement de la consommation de ces aliments dits « non essentiels » à l’organisme. Pour un régime moyen, ces aliments génèrent 32,7 % de l’impact agraire, suivi par la viande (23,3 %), les céréales (12,6 %), les produits laitiers (9,5 %), les fruits (9,0 %), les légumes (5,0 %), etc.

Les chiffres détaillés des empreintes agraires associées à la consommation des différentes catégories de viande sont instructifs : si la consommation de bœuf et d’agneau génère 8,8 % de l’empreinte agraire d’un régime moyen, ce chiffre s’élève à 11 % pour le poulet. Une différence qui s’explique par le contexte agricole australien : si les ruminants allaitants sont majoritairement élevés sur des pâtures en système extensif, la viande de poulet est issue d’animaux élevés en système intensif, fortement dépendant des céréales. De quoi relativiser les discours souvent basés sur les seules émissions de gaz à effet de serre associées à la consommation de viande rouge.

Du côté de l’empreinte hydrique, les produits dits non essentiels sont également ceux qui exercent le plus de pression au sein du régime australien moyen : 25 %, contre 19 % pour les fruits, 16 % pour les produits laitiers et alternatives, 13 % pour les céréales, 12 % pour la viande (dont 4,1 % pour celle de bœuf) et 7 % pour les légumes.

D’un point de vue nutritionnel, les régimes les plus équilibrés comportaient des proportions plus élevées de légumes, de céréales, mais aussi de produits carnés non transformés (bœuf et agneau notamment), et jusqu’à trois fois moins d’aliments non essentiels que le régime moyen.

Un nouvel éclairage pertinent

Ces résultats montrent que, sans révolutionner les schémas alimentaires classiques, il est bel et bien possible de suivre un régime alimentaire équilibré et respectueux de l’environnement. Dans le contexte australien, cela implique de diminuer fortement la consommation d’aliments non essentiels au profit d’aliments de base, bruts et peu ou pas transformés et de bonne qualité nutritionnelle, et de distinguer ainsi les sources de protéines animales à privilégier par rapport à d’autres.

Bien qu’il soit impossible d’extrapoler tels quels ces résultats australiens à d’autres régimes alimentaires et zones géographiques ou systèmes agricoles, ces deux études offrent un nouvel éclairage intéressant aux nutritionnistes, aux consommateurs, ainsi qu’aux éleveurs dont les productions sont trop souvent les seules à être montrées du doigt du fait d’une vision restrictive de l’impact environnemental.

Qu’entend-on par aliments « non essentiels » ?

Les aliments non essentiels sont définis dans ces deux études comme des aliments à haute densité énergétique et faible valeur nutritionnelle, riches en graisses saturées, sucres ajoutés et sel. Ils incluent les produits ultra-transformés (chips et autres biscuits salés, glaces, barres chocolatées, confiseries…), les aliments carnés transformés (charcuterie, beignets de poulet…), les graisses d’origine animale (beurre et crème), les boissons enrichies en sucre, ainsi que l’alcool. Cette distinction entre essentiels et non essentiels est particulièrement intéressante sur le plan alimentaire : elle met en exergue la notion de valeur nutritionnelle comme un élément majeur de la durabilité des régimes et le fait que tous les produits carnés et aliments issus de l’élevage ne sont pas à mettre dans le même sac.

Références :

Ridoutt BG, Baird D, Anastasiou K, Hendrie GA. Diet Quality and Water Scarcity: Evidence from a Large Australian Population Health Survey. Nutrients. 2019; 11(8):1846. doi: 10.3390/nu11081846.

Ridoutt B, Anastasiou K, Baird D, Garcia JN, Hendrie G. Cropland Footprints of Australian Dietary Choices. Nutrients. 2020; 12(5):1212. doi: 10.3390/nu12051212.

[1] L’empreinte agraire estimée tient également compte ici de trois indicateurs reflétant les préoccupations environnementales liées à l’occupation des terres cultivées, à savoir leur rareté et leurs impacts sur la biodiversité et la malnutrition protéino-énergétique des populations environnantes.