Viande rouge et cancer : une science biaisée ? Analyse des preuves derrière la classification du CIRC (TRADUCTION)

Cet article est une traduction d’un texte original de Nina Teicholz, journaliste d’investigation américaine et auteure reconnue pour ses travaux sur la nutrition et les recommandations alimentaires. Dans cet article, elle s’intéresse aux conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) concernant les viandes rouges et transformées, un sujet qui suscite une vive controverse depuis 2015, année où le CIRC a livré les résultats de son évaluation. À travers une analyse approfondie des données scientifiques et du processus d’évaluation du CIRC, elle met en lumière les failles méthodologiques et les biais qui ont pu influencer cette classification.

Éviter les viandes rouges et transformées est un conseil généralement donné pour prévenir tous les types de cancer, même si seul le cancer colorectal a été classé comme cancérogène par l’agence la plus importante au monde dans ce domaine. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les viandes transformées (hot-dogs, bacon, jambon, saucisses, charcuterie) dans le groupe 1 des substances cancérogènes, c’est-à-dire une cause « certaine » de cancer, et les viandes rouges fraîches (bœuf, porc, agneau) dans le groupe 2A, c’est-à-dire des substances cancérogènes « probables ». Cette nouvelle a fait grand bruit dans le monde entier, avec des centaines de titres menaçants. Au moins un groupe faisant autorité, l’American Institute for Cancer Research, la principale organisation de recherche sur le cancer aux États-Unis axée sur les facteurs liés au mode de vie, a exprimé son soutien ferme à la décision du CIRC.

L’annonce du CIRC est un événement historique. Pour la première fois, une organisation mondiale de la santé a déclaré qu’un composant majeur de tous les régimes alimentaires humains au cours de l’histoire était probablement cancérogène. Pourtant, pour étayer cette déclaration de 2015, le CIRC n’a publié qu’un résumé de deux pages de ses conclusions, dans la revue Lancet Oncology. Vingt-deux experts internationaux (le groupe de travail) s’étaient réunis pendant huit jours à Lyon pour évaluer une montagne de données, dont plus de 800 études d’observation. Le groupe de travail n’ayant produit qu’un résumé de deux pages, son analyse n’a pas pu être vérifiée de manière indépendante à l’époque. Plus surprenant encore, les conclusions du Lancet s’appuient fortement sur huit articles seulement, tous issus d’études épidémiologiques qui établissent un lien entre ce que les gens mangent, ou déclarent avoir mangé, et les cancers qu’ils développent plus tard dans leur vie. Même s’il est bien établi que la grande majorité des études de ce type ne peuvent prouver un lien de causalité entre la consommation d’aliments et la maladie, l’agence a conclu que la force de la preuve montrant que les viandes transformées causent le cancer était égale à celle du tabac et de l’amiante.

Les chiffres du CIRC qui ont attiré l’attention du monde entier proviennent de son communiqué de presse accompagnant l’article du Lancet , qui affirmait que la consommation quotidienne de 1,75 once de viande transformée (environ la taille d’une boîte d’allumettes) augmentait le risque de cancer colorectal de 18 %. Or, ces affirmations reposent sur un seul article, une méta-analyse datant de 2011. Et le seul résultat significatif de cette étude était un lien entre le cancer d’une part et la saucisse grillée et la viande de porc d’autre part, et non le bœuf, le mouton ou l’agneau. Le fait que le groupe de travail ait utilisé les faibles résultats concernant la viande de porc et les saucisses grillées pour les généraliser à toutes les viandes rouges et transformées suggère une interprétation biaisée des preuves.

En outre, l’affirmation des 18 % est très ténue, car l’article du Lancet ne fait état que d’associations minuscules, appelées « risques relatifs », entre la viande et le cancer : 1,17 pour la viande fraîche et 1,18 pour la viande transformée. Le chiffre 1 indique une relation nulle. Des augmentations de 0,17 et 0,18 sont minuscules. Dans le domaine de l’épidémiologie en général (en dehors de la nutrition), ces chiffres seraient considérés comme beaucoup trop faibles pour être significatifs.

Pour autant, ces chiffres devraient-ils nous empêcher de manger du steak et du bacon, ne serait-ce qu’à titre de précaution ? On peut en douter. Ces augmentations ne représentent qu’une hausse de 6 % du risque absolu par rapport à un risque de base (pour un homme de 50 ans) qui n’est que de 4 à 5 %, selon le calculateur d’évaluation du risque de cancer colorectal du National Institute of Health (NIH). La consommation de viande fait ainsi passer le risque de 4,50 à 4,68 %. Autrement dit, pour 10 000 hommes de 50 ans, on peut s’attendre à ce que 468 d’entre eux soient atteints d’un cancer du côlon mais, parmi eux, seuls 18 hommes (468-450) pourraient attribuer leur cancer à la viande, selon le CIRC lui-même.

Pour replacer cette histoire de « peur » du cancer dans son contexte, il faut savoir que ce n’est que trois ans plus tard, lorsque le CIRC a publié sa monographie complète, que des questions significatives sur la portée et la qualité des preuves ont pu être abordées. À ce moment-là, l’histoire de la viande rouge causant le cancer était fermement ancrée dans l’esprit du public, après la lecture d’innombrables articles de presse, solidifiant la perception d’une « science établie » sur le sujet. Des dizaines d’articles avaient été rédigés et des politiques de lutte contre la viande rouge avaient été mises en place. Si quelqu’un s’interroge encore sur l’influence de cette étude de deux pages, le système de métrologie Plum X indique qu’à ce jour, l’étude de deux pages du Lancet a été citée 1 418 fois, dont 108 fois dans des documents de politique générale.

Des preuves ignorées

D’après les entretiens menés avec sept membres du groupe de travail et des observateurs, des données importantes ont été purement et simplement exclues de la réflexion. Or, ces études exclues n’étaient pas mineures : elles comprenaient deux essais cliniques contrôlés et randomisés (ECR) qui réduisaient spécifiquement la viande rouge dans le cadre d’une série d’interventions diététiques visant à prévenir le cancer. En d’autres termes, les seules études constituant le type de preuve le plus rigoureux – en fait, le seul type de preuve pouvant démontrer de manière fiable une relation de cause à effet entre l’alimentation et la maladie – ont été exclues de l’examen par le groupe de travail.

Le premier de ces essais, le Polyp Prevention Trial, n’a pas réussi à montrer d’effet sur la récurrence des tumeurs chez les personnes suivant un régime à base de fruits et légumes et pauvre en graisses et en viande, même après huit ans de tests de suivi. Le second, la fameuse Women’s Health Initiative, a impliqué près de 50 000 femmes et coûté environ un demi-milliard de dollars, mais n’a pas réussi à démontrer qu’une faible consommation de viande rouge et transformée avait un effet sur le risque de cancer colorectal (ou même de plusieurs autres types de cancer) après plus de huit ans. Ces deux essais, financés par le NIH, étaient « puissants », c’est-à-dire qu’ils ont duré suffisamment longtemps et ont inclus suffisamment de sujets pour obtenir des données significatives et généralisables sur le cancer. Lorsqu’un participant au groupe de travail du CIRC a suggéré d’inclure ces essais dans l’examen du groupe, il m’a dit qu’il s’était heurté à une fin de non-recevoir.

La raison invoquée par Bernard Stewart, président du groupe de travail et professeur à l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, était que ces études impliquaient des changements alimentaires allant au-delà de la simple réduction de viande, ce qui laissait supposer l’existence de facteurs de confusion susceptibles d’affecter de manière significative les résultats de l’étude. C’est vrai, mais cela ne change rien au fait que, si la viande est réduite et que les taux de cancer ne diminuent pas en conséquence, ce résultat constitue une preuve significative contredisant la conclusion du CIRC. Ignorer cette contradiction revient à négliger des données importantes. Plus troublant encore, comme l’a fait remarquer un participant, les nombreuses études épidémiologiques dont l’inclusion a été autorisée par le CIRC portaient également sur des centaines d’aliments autres que la viande. Il est donc juste de dire que le CIRC a appliqué deux poids, deux mesures, en privilégiant les données faibles par rapport aux données solides. Comme l’indique le rapport de deux pages, « le plus grand poids a été accordé aux études de cohortes prospectives réalisées dans la population générale », ce qui est tout à fait contraire aux règles de base de la méthodologie scientifique.

Trois types de preuves à l’étude

Les études examinées par le groupe de travail se répartissent en trois catégories, dont aucune ne comprend d’essais cliniques sur l’Homme : les preuves mécanistiques (mécanismes possibles par lesquels la viande pourrait causer le cancer), les données provenant d’études menées chez l’animal et les données provenant d’études épidémiologiques.

Le sous-groupe de recherche sur les données animales a déclaré que ses preuves étaient « inadéquates », car les résultats ne montraient pas d’effet clair de l’alimentation en viande rouge ou transformée sur le développement de tumeurs (comme me l’ont rapporté les membres de ce sous-groupe).

Les preuves mécanistiques n’ont pas montré de relation de cause à effet, mais plutôt un mécanisme ou une voie biologique pouvant être à l’œuvre si une relation de cause à effet était trouvée. Les mécanismes proposés étaient au nombre de trois : le fer héminique de la viande rouge, la génotoxicité et le stress oxydatif. Ce sous-groupe a décidé que les preuves étaient « fortes » pour la viande rouge et « modérées » pour la viande transformée. Il est important de noter que l’un des membres de ce sous-groupe était Denis Corpet, professeur à l’université de Toulouse, qui essayait depuis 1998 de montrer comment les viandes rouge et transformée provoquaient le cancer. Ses deux premières expériences ont en fait montré l’inverse, à savoir que les rats nourris au bacon présentaient des quantités moindres de composés cancérigènes dans leurs excréments que les rats témoins. L’étude conclut : « Un régime à base de bacon semble protéger contre la carcinogenèse », et l’étude suivante, achevée en 2000, de confirmer : « Les résultats suggèrent que les composés N-nitrosés du bacon alimentaire ne favorisent pas la carcinogenèse du côlon chez les rats. »

Dans ses expériences ultérieures, le chercheur a utilisé des régimes pauvres en calcium. Il a découvert que les rats soumis à ce type de régime et nourris avec de la charcuterie produisaient davantage de composés cancérigènes. « Cela explique pourquoi nos premières expériences n’ont pas fonctionné », a-t-il expliqué récemment. Une de ses études, menée en 2013 sur des rats nourris avec des hot-dogs, conclut : « Il s’agit de la première preuve expérimentale qu’une viande transformée largement consommée favorise la cancérogénèse du côlon chez les rats. » Certains membres du groupe de travail m’ont dit qu’ils avaient essayé d’insérer une mise en garde dans la formulation de l’article du Lancet concernant le problème de la carence en calcium, mais le Pr Corpet s’y est fermement opposé et n’a pas voulu l’autoriser.

Une autre lacune des preuves mécanistiques est que de nombreuses expériences n’ont pas permis d’isoler l’effet de la viande des graisses dans lesquelles elle a été cuite. Les huiles végétales sont connues pour créer des produits d’oxydation lorsqu’elles sont chauffées, ce que le Pr Corpet reconnait : « Les graisses oxydées sont toxiques et les résultats concernant la viande cuite sont dus à la graisse, oui. » Cependant, le groupe de travail n’a pas exploré cette possibilité. Imputaient-ils à la viande les effets possibles des huiles végétales ? Dans l’ensemble, l’article du Lancet indique que le groupe de travail a trouvé « peu de données humaines » pour étayer des mécanismes plausibles sur la façon dont la viande transformée pourrait causer le cancer.

Une absence d’analyse des preuves épidémiologiques

Le moteur de la conclusion du CIRC est constitué par les études d’observation ou épidémiologiques. L’examen de ces études a été reporté au dernier après-midi de la réunion, lorsque les membres du CIRC ont présenté au groupe de travail « une pile de 4 pouces d’épaisseur », comme l’a rappelé un participant (information confirmée par d’autres), « et ils nous ont simplement demandé si tout le monde était d’accord ». Alors que les travaux des deux sous-groupes précédents avaient fait l’objet d’un examen approfondi et d’une révision par le groupe élargi, le résumé des preuves épidémiologiques ne l’a pas été. « Nous n’avons pas eu l’occasion de procéder à un examen sérieux de ces documents », a déclaré David Klurfeld, membre du groupe de travail, lors d’une interview. À l’époque de la réunion du CIRC, il était responsable du programme national de nutrition humaine au ministère américain de l’Agriculture.

L’article du Lancet reconnaît les limites de ces études épidémiologiques : « Aucune association claire n’a été observée dans plusieurs des études de haute qualité [sur la viande fraîche] et il est difficile d’exclure des facteurs de confusion résiduels liés à d’autres risques liés à l’alimentation et au mode de vie. » L’article reconnaît également que « les preuves de la cancérogénicité de la consommation de viande rouge chez l’Homme sont limitées ». Pourtant, plus loin, sans explication, l’article se contredit, affirmant qu’il existe des « données épidémiologiques substantielles » à l’appui des conclusions. Alors, qu’en est-il ? Des preuves « limitées » ou « substantielles » ? Dans les deux cas, comme indiqué ci-dessus, la capacité des données épidémiologiques à établir des relations de cause à effet est considérée comme faible. Or, les associations entre la viande rouge/transformée et le cancer colorectal étaient incohérentes et minuscules (0,17 et 0,18).

Une vision plus impartiale des preuves

Quatre ans après la décision du CIRC de 2015, les études les plus rigoureuses et les plus complètes jamais réalisées sur la viande rouge ont été publiées dans la prestigieuse revue Annals of Internal Medicine. Contrairement à la plupart des membres du groupe de travail, les auteurs n’avaient jamais publié de recherches sur la viande et le cancer et n’avaient aucun intérêt dans la question. En revanche, ils ont été formés à l’interprétation des preuves scientifiques à l’aide d’une méthodologie d’examen faisant autorité et reconnue dans le monde entier, la méthode GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development, and Evaluation). Ces articles ont conclu que seules des preuves de qualité « faible » à « très faible » établissent un lien entre les viandes rouges ou transformées et tout type de cancer ou de mortalité par cancer. Malgré cette importante étude, Bernard Stewart a récemment écrit : « À ma connaissance, le CIRC n’a pas fait l’objet de critiques négatives et n’a pas été informé de la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires pour justifier les résultats obtenus, que ce soit à l’époque ou depuis. » M Stewart n’a pas répondu à d’autres courriels l’interrogeant sur les conclusions contradictoires des évaluations GRADE.

La révision du CIRC était-elle biaisée ?

Pourquoi le processus du CIRC est-il si problématique ? L’un des membres du groupe de travail du CIRC, David Klurfeld, s’est posé cette question : « J’étais un vieux routier de la nutrition et je connaissais bien les préjugés contre la viande dans ce domaine, mais je pensais quand même que lorsque les principaux experts verraient l’ensemble des preuves, ils changeraient d’avis, a-t-il confié. J’étais naïf. » Au cours de la réunion du CIRC, il en est venu à soupçonner que le résultat avait été préétabli. Ce soupçon est crédible si l’on considère qu’au moins 17 (77 %) des 22 membres du groupe de travail avaient publié de nombreux articles visant à démontrer que la viande provoque le cancer, et que six d’entre eux menaient ces recherches depuis 20 à 30 ans. Les articles dont ils sont les auteurs concluent souvent que les preuves sont incohérentes ou non concluantes, mais ils continuent. Leur persévérance est soit héroïque, soit déprimante, selon le point de vue que l’on porte sur la pratique de la science… À quel moment le chercheur a-t-il l’obligation, éthique ou autre, d’admettre qu’une hypothèse a peu de chances d’être vraie ? Par exemple, Alicja Wolk, de l’Institut Karolinska, en Suède, étudie depuis 1993 les liens possibles entre la viande et divers types de cancer. Sa première étude « n’a pas trouvé d’association entre la consommation de viande, de saucisses, de charcuterie, de foie… [et] l’habitude de frire, de fumer ou de griller les aliments et le risque de cancer gastrique ». Les études épidémiologiques qu’elle a menées par la suite n’ont pas permis d’établir de liens statistiquement significatifs entre la consommation de viande et le cancer du rein (dans plusieurs articles), le cancer de l’endomètre, le cancer du sein, les cancers de l’œsophage et du cardia gastrique ou le cancer colorectal (les données de cette étude n’étaient pas « concluantes »). Pourtant, le travail s’est poursuivi, Wolk ayant publié 38 articles sur la viande et le cancer avant la réunion du CIRC.

D’autres membres du groupe de travail ont publié des articles similaires, semblant toujours espérer qu’une autre étude puisse donner les résultats escomptés. Dans cette optique, la réunion du CIRC peut être considérée comme une occasion pour la majorité du groupe de travail de prendre une décision qui donnerait enfin raison à leurs convictions. Lors de la réunion de Lyon, de nombreux documents examinés étaient ceux du groupe de travail lui-même. Comme l’a fait remarquer un participant à la réunion : « Ce n’étaient pas des examinateurs indépendants. Il s’agissait de leurs propres données ! »

Pouvions-nous vraiment attendre d’eux qu’ils soient impartiaux ? La faille critique semble résider dans la manière dont le groupe a été sélectionné dès le départ. Lorsque le CIRC recherche des autorités de premier plan sur un cancérogène possible, qui devrait-il nommer si ce n’est les experts les plus publiés dans le domaine ? Et comme les revues scientifiques ont tendance à publier des résultats « positifs », les scientifiques publiés avec succès dans le domaine de la recherche sur le cancer seront ceux qui trouvent que X pourrait causer le cancer, et non ceux qui trouvent que X ne cause rien. Ainsi, le processus même de formation des groupes de travail du CIRC conduit à un parti pris en faveur du cancer.

Klurfeld a suggéré que les membres du CIRC eux-mêmes pouvaient également avoir des préjugés à l’encontre de la viande. Il se souvient que 3 ou 4 membres du CIRC, qui compte 16 personnes, ont mentionné lors des repas qu’ils étaient végétariens, ce qui – si cela est vrai -porterait le taux de végétariens au sein du CIRC à 25 %, soit cinq fois plus que dans la population générale (4 à 5 %). Il semble difficile de nier que ces préjugés personnels et professionnels aient pu influencer les débats. Par exemple, lorsqu’un toxicologue du panel a soulevé des failles dans les preuves mécanistiques, on lui aurait dit « tais-toi et assieds-toi », selon plusieurs témoins interrogés peu après la décision du CIRC de 2015 (le membre en question n’a pas répondu aux courriels concernant ce commentaire). Klurfeld a également déclaré que lorsqu’il a tenté d’introduire dans le document du Lancet des termes atténuant la certitude du lien entre la viande et le cancer, un autre membre du groupe a vigoureusement exprimé son désaccord, ce qui l’a contraint à « abandonner » l’idée.

Le CIRC affirme que ses groupes de travail parviennent à des conclusions « par consensus » (p. 155), mais le groupe sur la viande rouge/transformée n’a pas travaillé en vue d’un consensus unanime et n’y est pas parvenu. En outre, un attaché de presse du CIRC m’a dit que le groupe de travail n’avait pas été invité à participer à l’élaboration de la monographie finale.

Tout provoque-t-il le cancer ?

Depuis sa création en 1965, le CIRC déclare avoir examiné 1 045 agents naturels, biologiques et chimiques, et en a trouvé 52 % cancérogènes pour l’Homme. Une étude de 2013, qui a sélectionné au hasard cinquante ingrédients courants dans un seul livre de cuisine, a découvert que 80 % d’entre eux étaient signalés dans des études (pas toutes réalisées par le CIRC) comme présentant un risque de cancer, « même si les preuves sont faibles ». Le CIRC a constaté que les boissons très chaudes (mais pas le café) provoquent le cancer, tout comme le travail de nuit.

Le CIRC avait auparavant une catégorie appelée Groupe 4, « probablement non cancérogène pour l’Homme ». L’agence a toutefois supprimé cette catégorie en 2019 et, désormais, le meilleur résultat possible pour un agent est « non classable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme ». Cette désignation implique qu’il y a toujours une chance, avec plus de preuves, qu’un aliment ou une substance soit jugé cancérogène. Pour le CIRC, tout présente donc un risque.

Même Bernard Stewart a exprimé quelques doutes sur le processus du CIRC dans un éditorial de 2016 pour le Lancet, intitulé « Comment juger ce qui cause le cancer ? La controverse sur la viande ». Avec un autre membre du groupe de travail, il y écrit : « Manger de la viande rouge ne conduit pas nécessairement au cancer », car le cancer est considéré comme « l’interaction complexe de nombreux agents et de la réponse biologique ». Le concept d’« absence de dose sûre », qui peut être appliqué à la cigarette, est « dénué de sens » pour la viande, écrivent-ils. Mais « le CIRC n’est pas à blâmer », ajoutent-ils. Au contraire, ceux qui traduisent les décisions du CIRC en politiques devraient faire une « distinction très claire » entre un agent cancérogène « sans dose de sécurité » et d’autres agents potentiellement cancérogènes. Ce décalage entre l’examen des données probantes – qu’elles soient fiables ou non – et la mise en œuvre des politiques est préoccupant.

Depuis des décennies, les chercheurs tentent d’imputer le cancer à la viande rouge et à la viande transformée, et les preuves ténues n’ont fait que s’affaiblir. Si la radioactivité, le tabagisme et les produits chimiques industriels provoquent sans aucun doute des cancers, la viande rouge – un aliment consommé par l’Homme depuis ses premiers jours sur Terre – n’en fait pas partie. Le processus du CIRC est une démonstration de la manière dont, grâce au financement, à la partialité et au pouvoir, une hypothèse erronée peut être entretenue comme vraie.

Pour en savoir plus : Gaps found in red meat cancer link trope

Source : Sheep Central

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